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austère image plane encore de nos jours en Autriche à l’instar d’une sorte de palladium, mais plus imposante que touchante, comme chez nous la figure olympienne de Louis XIV. Malheureusement elle avait fort négligé l’enfance de Marie-Antoinette, sa dernière fille, et ses vives sollicitudes pour cette princesse ne se sont guère éveillées qu’à partir de l’heure où l’enfant fut destinée au trône de France. La souveraine songeait alors, avec chaleur il est vrai, mais un peu tardivement, à payer les dettes de la mère.

Le 21 avril 1770, jour du départ de la jeune archiduchesse-dauphine pour la France, Marie-Thérèse lui remit un papier renfermant un règlement à lire tous les mois et remplis des plus sages conseils[1].

La suite de la correspondance de Marie-Thérèse avec Marie-Antoinette est animée souvent de cette raison suprême, de ce sens droit et ferme qui avaient donné le vol à sa politique, avaient fait d’elle la mère de la patrie et lui avaient valu d’être proclamée un des grands hommes de son siècle. Aussi lit-on généralement ses lettres avec un mélange d’émotion et de respect. Au début, le 1er novembre 1770, elle l’encourage par des paroles toutes charmantes, puis viennent les plus sages conseils; mais par-dessus tout dominent les vifs reproches, les gronderies incessantes, parfois amères. Trop obéissante aux suggestions d’une maternité jalouse, trop crédule aux dénigremens envieux qui empoisonnaient la vie de sa fille, trop facile à prêter l’oreille aux mauvais propos et aux calomnies venues d’informateurs maladroits et trop zélés ou des gazetiers de Berlin et de Cologne, Marie-Thérèse fatiguait la pauvre Marie-Antoinette de remontrances non toujours méritées, et qui n’avaient d’intermittences que les jours où la mère pressentait qu’elle aurait à réclamer l’intervention de sa fille pour quelque service politique. Elle la voulait aimable, gracieuse, plaisante et accorte à tous; elle la voulait amusante, comme elle dit dans ses instructions, et elle, femme triste, âgée, toujours assombrie sous les livrées de son veuvage, elle l’excède et l’effarouche de vertes admonestations sur ce qu’elle se plaît trop à la jeunesse, aux amusemens du bal, à la toilette, aux courses à cheval, que cependant ne désapprouvent ni le roi ni le dauphin. Elle la fait morigéner par son ambassadeur Mercy, chargé de lui parler clair[2]. Plus tard, elle lui reproche âprement d’être séparée de lit avec son mari, comme si c’était sa faute; puis, revenant sur ses courses à cheval au bois de Boulogne avec cet aimable étourdi de comte d’Artois, elle

  1. Maria-Theresia und Marie-Antoinette, seconde édition, p. 1.
  2. 17 août 1771. Arneth, p. 40.