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chemens à la lecture, et c’était en vain que sa mère lui demandait un compte écrit de ses lectures historiques; elle ne rendait compte que de peu.

Dans les premiers temps de son arrivée à Versailles, elle avait peur de tout. Par exemple, au témoignage de Vermond, elle ne croyait aucun papier en sûreté chez elle. Elle craignait les doubles clés, ou qu’on ne prît les siennes dans ses poches pendant la nuit. Un jour qu’elle voulait mettre de côté une lettre de sa mère pour la relire, elle n’avait cru mieux faire que de la cacher dans son lit, et c’est par suite de ces terreurs bizarres qu’elle n’écrivait le plus souvent, dit-on, que le jour même du courrier[1]. De là trop de hâte, de là souvent aussi mauvaise écriture, mauvaise orthographe. Aussi Marie-Thérèse lui écrivait-elle le 10 février 1771 : « Je dois vous relever que le caractère de vos lettres est tous les jours plus mauvais et moins correct. Depuis dix mois, vous auriez dû vous perfectionner. J’étais un peu humiliée en voyant courir par plusieurs mains celles des dames que vous leur avez écrites[2]. » Au mois d’octobre de la même année, pareils reproches. « Vous perdrez tous vos soins, lui disait-elle, si vous prenez la plume à la main : ni le caractère ni la diction (ne) préviendront pour vous[3]. »

Marie-Antoinette avait donc, de 1770 à 1773, une mauvaise écriture suivant sa mère et suivant Vermond. Elle n’en eut d’ailleurs jamais une bonne en aucun temps. L’écriture constatée de 74 à 93 est lâche, mauvaise, bien qu’assez régulière et lisible : véritable écriture d’allumette, non de plume; des jambages jetés séparément, jamais une liaison. Et c’est là précisément ce qui criait en face des fac-simile viennois de lettres des quatre premières années, où tous les caractères serrés sont liés comme dans l’écriture la plus rapide. Or Vermond vient de nous dire que Marie-Antoinette avait contracté l’habitude d’écrire on ne peut plus lentement.

Aussi les premiers fac-simile viennois excitèrent-ils à Paris un étonnement universel, et l’exclamation contraire à l’authenticité des originaux fut-elle tout d’abord unanime chez les hommes du métier, qui ne pouvaient comprendre que de ces rudimens de 1770 à 1774, tout gradués qu’on eût pris soin de les produire, sortît un jour l’écriture connue de la reine. La femme n’était point là dans l’enfant. Que la première enfance, dont la plume est conduite par un maître, imite et ne soit pas elle-même, cela se comprend; mais abandonnez la main de la jeunesse à sa propre allure, le naturel reviendra au galop au bout de la plume, résultat chez chacun de nous de notre organisation musculaire et nerveuse, de notre tem-

  1. Vermond, dans Arneth, p. 369, année 1770.
  2. Arneth, p. 25.
  3. Id., p. 63.