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LE DERNIER AMOUR.

— Mais je ne vous conseille rien de tout cela ! Je ne sais rien des relations que vous pourriez établir et des avantages que vous auriez à en retirer. Je vous ai parlé de renouer le lien social sans me permettre aucune allusion particulière à la manière de renouer ce lien ; je ne suis pas un homme du monde, et par le fait j’ai rompu avec lui bien plus que vous. Cependant il y a une réconciliation qui se fait dans le cœur quand on veut se guérir, et le seul ordre de choses où je puisse et veuille vous conseiller, c’est l’ordre purement moral et intellectuel. Vous êtes grande, ma chère Félicie, vous n’êtes pas douce. Il vous est impossible de l’être avec ce parti-pris de mépriser tout ce qui n’est pas vous. Eh bien ! réfléchissez une fois, une bonne fois dans votre vie ; je crois que cela ne vous est jamais arrivé !

— C’est vrai, dit-elle, je crois que je ne sais pas et que je ne peux pas réfléchir. Faites-moi réfléchir, vous ; aidez-moi. Démontrez-moi que les autres valent mieux que moi.

— Individuellement il est probable que la plupart des autres né’vous valent pas ; mais l’humanité prise dans son ensemble a une valeur immense que l’individu ne peut résumer en lui qu’à la condition de la comprendre. Aimez-vous dans l’humanité, aimez l’humanité en vous. Dites-vous, par exemple, que l’humanité souffre parce que vous souffrez, et que vous souffrez parce qu’elle souffre. La condamnation que vous avez subie, d’où vient-elle ? De l’absence de charité chez les autres. C’est la cause de tous vos malheurs et des orages qui ont troublé l’union de vos parens. Eh bien ! si la charité était en vous, vous plaindriez les autres de n’en point avoir, et dès qu’on plaint, on pardonne. Vous ne pardonnez pas, donc la charité manque sur ce coin de terre que vous habitez, comme elle manque, hélas ! dans le reste du monde, et vous ne voulez pas l’y faire entrer, même dans votre maison, dans votre croyance ; dans votre âme ; vous la victime d’un mal dont vous devriez apprécier l’énormité, vous ne songez pas aux nombreuses victimes de ce mal ; n’y eût-il qu’elles à plaindre et à aimer, ce serait de quoi attendrir et remplir votre cœur. Eh bien ! sachez que ceux qui frappent sont encore plus malheureux que ceux que l’on brise. Ils n’ont pas la joie de se sentir innocens. Quand on épouse le mal, on ne dort plus. L’humanité est donc un chaos d’erreurs et un abîme de souffrances. Heureux ceux-là seuls qui sentent la pitié dans leurs entrailles, car c’est d’eux qu’on peut dire que, dès ce monde, ils seront consolés. Comment ? me direz-vous. Je vous réponds tout de suite : en ne haïssant pas.

— Voilà tout ? s’écria Félicie étonnée : ne pas haïr, c’est de l’indifférence !