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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

des jours précédens, puisque tout cet acier reluisait encore dans le limon de la douve. Lesneven se releva avec un sourire amer. Il comprenait, il devinait au moins ; il pensa qu’on avait enlevé du château tout ce qui pouvait donner la mort. Dagues antiques et précieuses, vieilleries féodales et fusils modernes, engins de chasse et de guerre, les trophées même conquis autrefois par les anciens seigneurs, tout, jusqu’aux épées de parade, on avait tout pris, tout jeté au plus profond de ces eaux noires. Qui avait donné cet ordre bizarre, sinon la marquise Violante elle-même ? C’était Violante, Lesneven s’en croyait sûr, il reconnaissait là une pensée de femme. — On ne se tue pas avec des armes seulement, se disait-il ; mais elle n’a point songé à cela. Un jouet d’enfant même peut devenir meurtrier dans des mains éperdues ! Voilà ce que la jeune marquise ne savait pas. Elle pensait avoir éloigné la tentation des yeux du marquis et respirait sans doute bien plus librement à cette heure. Cette précaution touchante, puérile et vaine, montrait bien qu’elle ne s’avouait pas vaincue. Tout le temps que le marquis vivrait, elle ne devait pas renoncer à l’espérance. — Mort ou vivant, murmura Lesneven, elle l’aimera toujours. — Et s’appuyant le front contre le mur, il songea.

Il se reportait aux jours heureux où son cœur n’était plein que d’abstractions et de redondantes chimères. Il aimait les hommes en ce temps-là, il repoussait bien loin de lui la pensée de jamais aimer une femme. Son père, Marins Lesneven, lui parlant de l’amour, lui disait : — À quoi bon ! — Et tous deux de lever les épaules.

— Garde bien ta liberté, ajoutait le père. Et puis ils discouraient ensemble, le vieillard l’âme encore toute pleine des anciennes tempêtes, ranimant le passé de son souffle vigoureux, le jeune homme créant l’avenir tout d’une pièce par un acte de sa pensée. Le père et le fds appelaient à l’envi la reprise de la grande œuvre et le règne de la justice ; mais le vieux Marins était mort : s’il revenait à la vie maintenant, reconnaîtrait-il ce fils qu’il avait élevé avec un soin si jaloux, et qu’il croyait avoir fait à son image ? Le jeune homme ne se reconnaissait plus lui-même. Son âme brisée dans cette grande chute se débattait contre la souffrance sans cris ambitieux et sans emphase, il avait trouvé la simplicité dans la douleur, et en ce moment même il essuya deux larmes qui roulaient sur ses joues amaigries. Il se souvint alors d’un de ces propos à la tournure antique, dont son père n’était rien moins qu’avare. — Sois le maître de toi, disait Marins Lesneven à son fils, tu seras le maître du monde. Demeurer le maître de soi, prétendre diriger sa vie à sa guise, n’est-ce point là de toutes les utopies la plus candide et vraiment le rêve des rêves ? Le jeune homme se frappa le front