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esclaves nègres qui étaient employés sur les plantations du Nouveau-Monde ; enfin la ténacité anglo-saxonne et les capitaux britanniques, qui ne sont ni l’un ni l’autre près de s’épuiser, se sont réciproquement promis de faire réussir cette culture dans l’Inde. Elle y réussira, nous le pensons. Y réussira-t-elle promptement ? Peut-on espérer que les immenses domaines de la reine Victoria que baigne l’Océan-Indien détrôneront bientôt sur les marchés du monde le pays cotonnier qui y régnait en souverain, la terre classique des récoltes presque illimitées ? Non. Il s’écoulera beaucoup de temps encore avant que les Indes aient pu conquérir ce haut rang ; elles ont, avant d’en arriver là, bien des épreuves à subir, bien des difficultés à surmonter, et la plus grave est l’organisation intérieure de la colonie et le régime de la propriété.

L’inextricable chaos des lois sur la propriété foncière ne s’est pas débrouillé depuis que le gouvernement de la reine a succédé à la compagnie des Indes, et le magique fiat lux, grâce auquel on pourra enfin s’y reconnaître, n’est pas sur le point d’être prononcé. Conflit entre l’autorité et celui qui, à un titre quelconque, détient la terre, conflit entre les grands propriétaires et les paysans ou ryots, système féodal et anarchique, tel est le résultat inévitable de la législation en vigueur. Les vues pratiques des gouverneurs qui se succèdent, les efforts persévérans qu’ils font pour modifier cet état de choses n’y peuvent rien : c’est une suite du système. Tant que ce système n’aura pas été radicalement changé, tant que des institutions libérales, dans la plus franche et la plus complète acception du mot, ne seront pas introduites dans la colonie, tant que la propriété ne sera pas clairement définie, tant que l’achat et la cession des terres seront entourés de difficultés, hérissés de formalités coûteuses, jamais les grandes compagnies cotonnières ne pourront s’asseoir solidement aux Indes, jamais la culture du coton n’y passera dans les habitudes des ryots. Aux États-Unis, les propriétaires de la terre formaient un corps compacte, homogène et puissant ; ils savaient que leurs titres de propriété étaient en règle, qu’ils n’avaient à redouter ni éviction, ni intervention du gouvernement, ni tracasserie administrative. Ils avaient de grandes fortunes, d’immenses exploitations que leur unique souci était de faire prospérer. Dans ces conditions, une agriculture peut devenir florissante, même en n’ayant pour travailleurs que les « outils noirs. » Il faut à tout prix arriver à asseoir la propriété aux Indes sur les mêmes bases que dans les autres pays civilisés ; il faut que des plantations considérables, pourvues d’un matériel perfectionné et disposant de capitaux importans, puissent s’y établir. Jusqu’à nouvel ordre, à part quelques nababs grands propriétaires, la produc-