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LES PRÉCURSEURS ITALIENS.

universel qu’excitait le nouveau pontificat. Montanelli renouvela ses tentatives auprès de lui. Cela ne fit que l’exaspérer, au point qu’il ne voulait plus voir ses jeunes amis. « On m’a cru faible, et on m’a tenté, » répétait-il avec amertume. Un jour, vers cette époque, M. Orlandini alla le voir ; il frappa plusieurs fois à la porte de sa bibliothèque. Niccolini finit par arriver en grondant et ouvrit la porte. « Il me regarda fixement, mettant la main sur ses yeux, raconte M. Orlandini ; puis, se frappant le front, il s’écria : Oh ! excusez-moi, je vous avais pris pour Montanelli, qui vient tous les jours m’exorciser pour que je devienne papiste, comme le sont devenus presque tous les imbéciles de mes vieux amis qui sont noyés dans l’eau bénite. — Puis, reprenant sa promenade dans sa bibliothèque en s’appuyant sur mon bras, il continua : Mais aussi qui pourrait garder sa patience avec ces bouffons qui se laissent prendre à l’hameçon, et qui prétendent que la raison humaine, pour un songe de dix-huit jours, va effacer l’histoire de dix-huit siècles ? Je suis brouillé avec tous. Je sais qu’ils en reviendront bientôt, mais je ne veux plus les voir… — Et, venant à la Toscane et à ses gouvernans, il s’écriait : Un bel état, qui commence à Orbetello et finit à Scalaricalasino ! état bien digne de ce second Côme III, sous-préfet de l’Autriche ! — Il termina en disant : Retenez bien ceci, ou l’Italie sera une, ou pour des siècles encore elle ne sera rien. Je suis vieux, mais je crois à Dieu et à la vertu humaine ! » Ces idées, qui depuis ont fait leur chemin, étaient alors si loin de la réalité qu’elles ressemblaient à un rêve.

Elles étaient évidemment un rêve à cette époque, et elles n’avaient pas cessé de l’être en 1848 ; l’Italie n’était pas mûre encore pour cette destinée qu’entrevoyaient des esprits qui ont fait assurément plus pour elle que tous les conspirateurs. Les premiers actes de Pie IX avaient donné tort à l’auteur d’Arnaldo. Le premier désaveu de la guerre de l’indépendance commença de lui donner raison. Quand éclata cette crise de 1848, Niccolini semblait devoir naturellement prendre un rôle : il ne fut rien et ne voulut être rien. Il fuyait les agitations. Toujours fidèle à lui-même, il refusa une décoration que lui donna le premier ministère constitutionnel de Florence, et il ne voulut jamais aller au sénat toscan, créé à cette époque. Était-ce parce que le petit sénat toscan lui semblait trop loin de son idéal ? Un homme qui l’a connu en donne une autre explication. Niccolini n’était pas fait pour la vie publique. « Il fut de tout temps d’une constitution irritable, l’organisme nerveux de son corps n’ayant pas, pour ainsi dire, assez de force pour régulariser la pression du génie qui habitait en lui. De là un contraste singulier entre l’énergie de son intelligence et la faiblesse de son