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LES PRÉCURSEURS ITALIENS.

à l’Italie, qui a la nature de l’âne, — asinina, — comme en fait foi son antique patience ; les oreilles ont grandi et grandissent tous les jours, et l’intelligence va diminuant… » Homme singulier et plein de feu, atrabilaire, emporté et au fond aimable, bon, cordial dans ses affections, qui méritait qu’une dame française qui l’avait vu souvent à Florence lui écrivît : « J’aurais besoin de passer quelques jours avec vous, de vous entendre, de voir la mobile et éloquente expression de votre visage, vos petits yeux noirs, brillans, et quand je devrais entendre un long défilé d’injures contre ma pauvre patrie, je me résignerais pour avoir la consolation de signer avec vous un traité de paix. »

Les opinions de Niccolini dans leur familière et bizarre impétuosité, ses inspirations comme poète procèdent de la même source et se confondent. Les unes et les autres sont l’expression d’une idée fondamentale, unique, l’idée de la patrie italienne à délivrer, à reconquérir, — à délivrer de ses préjugés, de ses passions de discorde aussi bien que de l’étranger, et c’est ce qui fait la sérieuse originalité de la poésie de Niccolini, c’est ce qui lui donne un rôle dans le mouvement des choses contemporaines, c’est, à proprement parler, sous la forme d’un art savant et perfectionné, la poésie nationale et libérale de l’Italie. Niccolini continue Alfieri et Parini avec plus de philosophie, avec un sens plus direct, aiguisé par les révolutions nouvelles. Dans les combats littéraires du temps, est-il classique, est-il romantique ? Ce n’est plus qu’une question puérile. Il avait commencé par le goût et l’étude de l’antiquité dans Polixène. À dater d’un certain moment, son esprit se fixe sur le passé italien, sur ces époques pleines de liberté et de servitude d’où jaillissent à la fois les fiers appels et les reproches sanglans. De là cette suite d’œuvres, — Antonio Foscarini, Giovanni da Procida, Lodovico Sforza, Filippo Strozzi, Arnaldo da Brescia, — où la pensée va en grandissant, en se fortifiant et en prenant plus de précision. Pour Niccolini d’ailleurs, l’indépendance n’était pas l’existence plus ou moins respectée, plus ou moins tolérée, de petites autonomies inertes, bonne tout au plus à faire prospérer les chambellans ; l’Italie n’était point un ensemble de petites nationalités endormies dans le culte jaloux de leurs traditions locales. Sa pensée de jeune homme et de vieillard, c’est visiblement l’Italie se dégageant indépendante et unifiée de son histoire, du travail des choses. Niccolini est un unitaire de la première heure. Dès 1812, il écrivait : « Il serait bien temps d’en finir avec les discordes provinciales, qui ne nous ont jamais rapporté que dommage et encore plus de honte que de dommage. Pour moi, entre Toscan et Lombard, je ne fais d’autre distinction que celle qui résulte des qualités du cœur et de l’esprit. Je