Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
311
LES PRÉCURSEURS ITALIENS.

moins parler de lui, que le mieux est de ne rien faire et que le monde va tout seul, il mondo va da se ; aussi n’était-il pas difficile avec ses employés, à qui il ne demandait de paraître que le jour où on les payait. Son gouvernement aurait pu s’appeler la sbirocratie. Niccolini écrit plus d’une fois : « Les sbires sont tout-puissans ici. » Qu’est-ce donc que cette sbirocratie ? C’est un gouvernement de police enveloppant doucement un pays, lui coupant le nerf moral en lui donnant les jouissances matérielles, et tenant suspendus sur toutes les têtes ces fameux procès dits économiques, sans doute parce qu’ils économisaient des frais de justice et qu’ils étaient simplement un mandat sommaire de buon-governo.

Tout ce qui était bruit, agitation, politique courante et active était minutieusement banni de ce petit royaume, où on aurait pu élever un temple à l’inertie et au silence comme les anciens élevaient un temple au sommeil ; mais en même temps ce régime n’était pas sans douceur et sans tolérance pour les écrivains, pour ceux que Fossombroni appelait les dottorini. La littérature avait un privilège d’indépendance. Florence devenait le lieu de refuge ou de pèlerinage de tout ce qui se sentait le goût des choses de l’esprit. Les échappés de Modène ou de Parme, qui n’avaient pas le droit d’être difficiles, admiraient presque tout : bon prince, bon gouvernement, — et ce qui peut paraître incroyable, une police du haut en bas courtoise, gracieuse et aimable. « Ici, écrivait un de ces réfugiés pour qui la Toscane était un paradis terrestre, ici on peut penser, parler, écrire, imprimer, vivre en un mot, car tout cela est la vraie vie de l’homme de lettres. Je respire ! Il me semble être dans un autre monde. » Et la preuve que tout n’était pas mort pour l’esprit et pour l’imagination, c’est que dans ces années, dans cette première période de la restauration toscane qui va jusqu’en 1830, Niccolini lui-même pouvait écrire cette tragédie de Nabucco, inférieure peut-être comme œuvre d’art, puisque sous le voile de la vieille histoire elle n’était que la mise en scène de la chute de Napoléon, mais qui respirait les plus fiers sentimens et qui se fondait sur cette donnée virile, qu’il n’y a point de grandeur individuelle sans la liberté, par la toute-puissance unique de la force et des armes. Il pouvait s’élever de cette étude harmonieuse, mais froide de Polixène à l’inspiration toute moderne, toute nationale d’Antonio Foscarini, de Giovanni da Procida, de cette tragédie de la vieille Sicile qui était presque un événement, dont la diplomatie française avait le tort de s’effaroucher, et qui faisait dire à l’ambassadeur d’Autriche se tournant vers le ministre de France : « L’adresse est pour vous, mais la lettre est pour moi. » Quand il ne pouvait parler, il se taisait, selon son expression ; si l’occasion s’offrait,