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pologie ! Foscolo a payé un amer tribut à la faiblesse humaine, il s’est oublié lui-même, il a traité avec les ennemis de l’Italie, et nous ferons bien d’oublier cette période de sa vie, de jeter le manteau de Sem sur les hontes du père… » Niccolini se trompait ; il le reconnut. Foscolo était un cœur capable de toutes les faiblesses, excepté de celle-là ; mais cette sévérité même de Niccolini n’est-elle pas la vive révélation de ce qu’il était et de ce qu’il pensait dans ce temps de la fin de l’empire et de la restauration ?

Nul peut-être ne représente mieux que Niccolini, avec son ingénuité de poète indépendant, ce que tous ces événemens faisaient passer d’émotions violentes et contradictoires dans une âme vraiment italienne. La domination française, arrivée au-delà des Alpes par la révolution, étendue et régularisée par l’empire, cette domination n’était point aimée. Il ne faut pas se faire illusion là-dessus. Sous un nom ou sous l’autre, c’était toujours l’étranger, dont la présence était une insulte et une oppression. Tout ce qu’il y avait d’instincts patriotiques se révoltait à la vue d’une Italie incessamment remaniée, coupée, déchiquetée en départemens français ou en principautés feudataires. Sous l’empire, il y eut toujours un groupe de dissidens et d’indépendans obstinés ; mais en même temps ces hommes sincères s’avouaient tout bas que cette France qui était pour eux l’étranger laissait sur son passage une semence féconde, que c’était toujours la révolution, que l’œuvre de transformation intérieure accomplie par elle partout où elle passait était le gage d’une indépendance future. De là les sentimens passionnés et complexes qu’inspirait cette domination à la fois oppressive et sympathique. Quand Niccolini voyait les autorités françaises se substituer à toute action italienne, l’usage de la langue laissé à peine par grâce, toute liberté de parole supprimée, quand il voyait les œuvres de l’art disparaître de la Toscane, des livres français employés à l’enseignement des Italiens dans les écoles italiennes, quand il voyait tout cela, il s’indignait, il se répandait en sorties amères. Il était sincère dans ses indignations contre les « maîtres superbes venus des bords de la Seine, » et à mesure que la catastrophe approchait, il n’était pas moins sincère dans ses retours vers Napoléon, dans sa haine des dominateurs nouveaux devant lesquels disparaissait la prépondérance française. « De la honte et des chaînes, voilà la paix des rois, » écrivait-il avec rage. Il répétait dans ses lettres l’épigramme qui courait partout : « voilà les destins de l’Italie, le typhus, les Allemands et les moines ! — Ecco d’Italia i fati : — tifo, Tedeschi e frati ! » C’était là l’impression première que 1814 éveillait chez Niccolini, une impression d’amertume, de découragement et d’irritation. Et puis, en voyant l’Italie