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REVUE DES DEUX MONDES.

Nous en étions là, le soleil baissait, lorsque Tonino et Vanina se trouvèrent tout à coup à quelques pas devant nous sur le sentier.

— Ah ! voyez, s’écria Félicie, les voici déjà ! Ils viennent regarder leur domaine. Ils ne sont pas si enivrés que vous disiez ! Ils pensent déjà au lendemain.

— Ils sont dans le vrai, dans la nature. Ils songent au nid tout de suite, pendant la chanson d’amour et de printemps.

— Comment, vous êtes là, cousine ? dit Tonino tout surpris, en doublant le pas.

— Oui, répondit-elle avec douceur ; je suis venue préparer ton nid, comme dit M. Sylvestre. Est-ce ici que tu veux demeurer ?

— Oui, certes, si j’ai le moyen de l’arranger quand le fermier sortira.

— Le fermier sort demain, et demain on commence les travaux. Regarde le plan avant que la brise du soir ne l’efface. Yoici votre chambre, très grande pour contenir les berceaux et les petits lits. Voici la salle pour causer, manger, faire de la musique. Yoici l’étable doublée, séparée en trois, pour les élèves des deux âges et les mères. Voici le grenier à fourrage, le séchoir, le rucher, la fontaine, etc.

— Mais c’est un rêve, s’écria Tonino ; il me faudra vingt ans de travail pour payer tout cela !

— Vous ne paierez rien, lui dis-je. C’est votre cadeau de noces en sus de la dot.

Tonino eut un beau mouvement très spontané, improvisation de l’intelligence artiste, ou cri sincère du cœur. — Mère ! s’écria-t-il en tombant aux genoux de Félicie, tu m’aimes donc encore ?

Elle fut vaincue et l’embrassa sans réserve ni méfiance. — Si tu pouvais redevenir sincère et bon comme jadis, je t’aimerais comme jadis, lui dit-elle.

— Aimez-moi comme jadis, reprit-il, car me voilà guéri de mes folies et naïf comme à douze ans. C’est à elle que je le dois, ajouta-t-il en montrant Vanina. J’avais encore du dépit ce matin ; elle m’a grondé, elle m’a dit que j’étais injuste et ingrat. J’ai senti qu’elle avait raison. Je me suis repenti, et si nous nous trouvons ici, c’est que nous étions en chemin pour aller vous demander pardon. Dès ce moment, le calme revint dans la famille ; Tonino ne fut plus taquin, Félicie ne fut plus sombre. Vanina, douce et affectueuse, semblait être le trait d’union entre eux. Il y eut comme une convention tacite, moyennant laquelle les jeunes époux n’habiteraient pas notre domicile avant de pouvoir prendre possession du leur. Je le regrettai, je ne voyais pas sur ce chapitre comme Félicie. L’amour consacré me paraissait chose trop sérieuse et trop