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REVUE DES DEUX MONDES.

— Eh bien ! commencez par me dire bien sincèrement ce que vous souhaitez.

— J’aurais souhaité reprendre ici mon ancienne vie, travailler sous vos ordres, et avoir le bonheur de recevoir vos leçons comme au temps passé. Vous me paraissez toujours aussi doux et aussi paternel ; mais, si ma cousine m’a pris en aversion, j’aime mieux partir et devenir ce que je pourrai.

— Que deviendrez-vous, mon cher enfant ? avez-vous quelque projet ?

— Quel projet voulez-vous que j’aie ? Je suis dans une position qui n’a pas le sens commun. Me voilà comte del Monte, et je suis forcé de m’appeler Tonino Monti pour n’être pas ridicule. Je ne sais rien autre chose à fond que la gouverne des troupeaux, je suis pasteur, comme disait mon pauvre cher cousin Jean, — un bel état, lorsqu’on a à faire prospérer un troupeau à soi ou à sa famille, et un état fort doux quand on vit dans sa famille, quand on y trouve de l’amitié et qu’on y reçoit un peu d’instruction ; mais l’instruction que j’ai acquise jusqu’ici ne me met pas à même de remplir une fonction dans l’administration, dans l’industrie ou dans les arts. Je suis un mauvais comptable, je ne mordrai jamais aux chiffres écrits, bien que je sois fort à calculer de tête. Je ne suis pas assez musicien pour donner des leçons comme le grand-père Monti ; je ne sais même pas le dur et triste métier de mon père. Je ne suis bon qu’à entrer berger dans quelque ferme. Eh bien ! est-ce là un sort pour moi, et ma cousine souffrira-t-elle que je devienne valet aux gages d’un paysan ? Pourquoi m’a-t-elle pris chez elle ? pourquoi a-t-elle voulu m’élever à sa guise, m’inspirer de la fierté, me rendre intelligent et un peu artiste, si c’est pour m’abandonner à l’âge que j’ai ? Elle a parlé de me faire une pension ; pourquoi ? Je ne suis pas infirme, je veux travailler ; je rougirais de recevoir de l’argent pour me croiser les bras, et je ne dis pas que je ne deviendrais pas un bandit, si je me laissais payer pour ne rien faire. Pourquoi ne pas me souffrir ici ? Si ma présence vous gêne, qu’on me laisse construire un bon chalet dans les hauts ; qu’on me confie une belle vacherie, et je ne descendrai ici que quand on voudra. Je prendrai un ou deux petits gardeurs pour m’aider dans mon exploitation ; je cultiverai même un peu, si l’endroit n’est pas trop mauvais ; j’emporterai mon violon, vous me donnerez quelques livres à lire, et je ne m’ennuierai pas. Je gagnerai ma vie honnêtement, sans faire honte à personne et sans me faire honte à moi-même. N’est-ce pas ce qu’il y a de plus raisonnable et de plus facile ? Tonino avait si parfaitement raison que je ne pouvais trouver aucune objection. Il connaissait très bien le commerce et l’élevage des bestiaux, et il aimait la vie champêtre. C’était bien vraiment le