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REVUE DES DEUX MONDES.

— Félicie, lui dis-je, il faut rappeler Tonino, il faut l’interroger ou l’observer, voir s’il réclame sincèrement son indépendance, et s’il est capable d’en faire un bon usage, après quoi nous prendrons un parti.

— Pourquoi, me dit-elle, essayez-vous de me cacher que son retour vous sera très désagréable ?

— Je ne veux pas vous le cacher, mais je veux surmonter ma répugnance ; il y a là un devoir à remplir, je vous l’ai dit…

— Et pour vous le devoir passe avant tout ?

— Oui, mon amie ; c’est ma religion, à moi.

— Pourtant rien ne devrait passer avant l’amour, ce me semble, reprit-elle timidement.

— L’amour profite des sacrifices faits au devoir.

— Comment cela ?

— Il s’élève et s’ennoblit.

— S’élever, s’ennoblir,… oui, voilà mon rêve, mon ambition ! Je crois vous comprendre ; vous voulez triompher de la jalousie, n’estce pas ? Eh bien ! essayez ; mais prenez garde de ne plus m’aimer quand vous verrez avec indifférence un homme me regarder avec amour.

— Je ne verrai jamais cela avec indifférence, mon amie, à moins que vous n’encouragiez ce regard lascif, qui vous souillerait à mes yeux et aux vôtres.

— Grand Dieu ! s’écria-t-elle impétueusement, que dites-vous là ? Si je ne suis pas parfaite, vous cesserez de m’aimer !

— Je ne sais pas si vous êtes ou si vous serez parfaite sous tous les rapports. Telle que vous êtes ou telle que vous serez, je vous chéris et vous chérirai toujours ; mais, en fait d’amour, je suis exclusif, et je ne comprends pas que la fidélité complète soit une vertu difficile à un cœur aimant.

— Vous savez bien, reprit-elle après un silence, que je n’ai jamais été coquette. Cela n’est pas dans ma nature. Pourtant si je le devenais à présent que j’aime, si pour entretenir votre amour je vous faisais quelquefois sentir que je peux en inspirer aux autres, seriez-vous si rigide que de regarder ce désir de vous plaire davantage comme un manque de fidélité ?

— Oui certes, je suis rigide à ce point-là, m’écriai-je, et je ne croirais pas être injuste. Toute coquetterie a besoin d’un complice, et la femme qui associe un autre homme à la tentative fort peu innocente dont vous parlez fait plus que de tromper son époux, elle l’avilit. Qu’elle se fasse un jeu de sa souffrance, ce n’est qu’une méchanceté, et cela se pardonne ; mais qu’elle encourage un étranger à tourmenter avec elle l’homme qu’elle a juré de respecter,