Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/277

Cette page n’a pas encore été corrigée
273
LE DERNIER AMOUR.

un enfant. Son naturel inquiet et nerveux reparaissait dans les soins qu’elle prenait de ses affaires et de son ménage, dans les ordres qu’elle donnait à son monde et dans les impatiences que lui causaient les tracas puérils. J’obtins d’elle la promesse que cette activité fébrile serait combattue, qu’elle apprendrait à commander avec calme et à supporter philosophiquement la négligence ou l’inintelligence inévitable de ses subordonnés. Ce fut d’abord au-dessus de ses forces ; mais un jour que je lui expliquais les idées de Lavater sur la physionomie, je lui traçai son propre profil au bout de la plume, et je lui montrai les diverses expressions de son visage modifié par la nature de ses émotions intérieures ; elle se vit jouant du violon et elle se trouva belle ; elle se vit grondant ses valets et elle se trouva laide. Consternée de ma clairvoyance, elle prit du chagrin et pleura ; mais, à partir de ce moment, elle redevint douce avec tout le monde comme au moment où pour la première fois elle s’était observée pour me plaire.

Comment n’aurais-je pas été touché de sa soumission ? Bientôt je fus ravi de son intelligence ; elle avait une facilité de compréhension merveilleuse. Deux ou trois semaines de leçons lui suffirent pour réformer ses mauvaises locutions allemandes et françaises ; elle m’en demanda une liste, elle l’étudia la nuit au lieu de dormir. Quand sa mémoire les eut bien classées, elle n’y retomba plus jamais.

Elle eut plus de peine à corriger son accent, mais elle sut très vite en faire disparaître les intonations vulgaires. Ce fut pour elle comme une leçon de musique que je lui donnais, et son instinct musical la servit admirablement pour cette réforme. Elle apprit aussi à causer, et c’est ce qu’elle avait toujours ignoré le plus complètement. Elle était de ces esprits impétueux qui n’écoutent de ce qu’on leur dit que ce qui répond à leur préoccupation. Ainsi elle s’emparait d’un seul mot qui l’avait frappée, et, comme un critique de mauvaise foi qui s’attaque à une citation tronquée, elle dénaturait avec une habileté ingénue et tenace le sens de ce qu’on lui avait dit, pour répondre à ce que l’on n’avait pas songé à lui dire. Elle abjura formellement ce procédé intellectuel, non pas tout de suite après que je lui en eus démontré les inconvéniens, mais aussitôt que je lui en eus fait sentir le côté puéril et ridicule. Elle avait un amour-propre immense avec moi, et pour la corriger il me fallait faire la chose la plus contraire à mon naturel, il fallait employer la raillerie. Moi qui suis tout bienveillance, je souffrais d’en venir là, car je la faisais beaucoup souffrir elle-même ; mais elle le voulait en somme. — Ma volonté est souple, disait-elle, mais mon instinct est rétif. J’ai beau vouloir ce que vous voulez,