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dirigeant l’Allemagne, et cette diète si bien tuée par M. de Bismark aura toujours eu le temps, avant de trépasser, d’envoyer au camp ennemi les plus forts soutiens de son droit. Bavière, Wurtemberg, Saxe, Hesse, Baden, où sont-ils à cette heure ? Tous, réunis comme par un coup de théâtre autour du drapeau de l’Autriche, obéissent au prince Alexandre de Hesse sous les murs de la vieille ville libre de Francfort ! Essayons un moment de parcourir à vol d’oiseau ces divers pays, voyons se profiler leurs personnages les plus marquans et cherchons à reconnaître par où ce principe dissolvant que guette la Prusse a le plus produit de dégâts, le plus travaillé à la gloire des descendans de Frédéric II.

C’est d’abord le grand-duché de Baden qu’on rencontre, — un suspect celui-là, dira-t-on, mieux encore, un défectionnaire. Et comment ne le serait-il pas ? Le grand-duché a vu de trop près les gloires de la maison de Hohenzollern pour en être fort ébloui ; à cette longue intimité de soumission au souverain prussien, l’ardeur des anciens jours s’est usée. Il faut maintenant compter avec le pays, avec le nouveau ministère. Aux heureux temps de M. de Roggenbach, l’état de Bade passait pour si bien annexé que ce n’était vraiment pas la peine de s’en préoccuper à Berlin ; mais M. d’Edelsheim a changé tout cela, et, pour incliner aujourd’hui vers la Prusse, besoin serait de commencer par changer de ministre. Quand le cabinet Roggenbach fut renversé, il y a quelques mois, on mit à la tête des affaires du grand-duché le baron d’Edelsheim, ministre de Bade à Vienne et frère du général de cavalerie du même nom, physionomie très particulière et dont la bravoure et l’entrain ont déjà marqué leur type dans la jeune armée autrichienne. Le baron d’Edelsheim a eu le sort de beaucoup d’hommes intelligens et impartiaux, payant partout d’une impopularité relative sa modération et sa clairvoyance. À Carlsruhe, c’était « l’Autrichien, » tandis qu’à Vienne on craignait sa franchise, on le blâmait, voulant une Autriche forte, de trouver mauvais tout moyen terme qui faisait obstacle à sa politique. Longtemps M. d’Edelsheim, ministre de Bade à Vienne, fut en suspicion et à qui le voyait et à qui le recevait. Il est vrai qu’aussitôt la crise venue tout ce monde s’empressa de lui rendre justice, de recourir à lui, les états de Bade comme au plus ferme, au plus honnête représentant de la cause fédérale en qui leur dernier espoir repose, et l’Autriche comme à un de ces amis dont la parole quelquefois peut déplaire, mais dont la gravité des circonstances nous rappelle et fait prévaloir la solidité. Une chose est donc à prévoir, c’est que tant que le ministère Edelsheim se tiendra debout, les Badois ne se feront pas Prussiens, et le ministère est aujourd’hui très populaire.

Après Bade, voyons la Hesse. Personne, à coup sûr, n’a jamais soupçonné la cour de Darmstadt d’avoir « un tendre » pour la Prusse, — pour la Russie à la bonne heure ; c’était du moins l’accusation que les ultra-libéraux ne lui ménageaient pas. L’impératrice de Russie est, on le sait, une princesse de Darmstadt ; son frère, le général Alexandre de Hesse en ce moment même défend le pays. Je consens à faire bon marché du premier ministre, M. de Dalwigk, dans le passé du moins, car à cette heure la haine qui s’attache au nom prussien l’a relevé, comme tant d’autres, de son impopularité pristine. Toujours est-il qu’alors M. de Dal-