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REVUE. — CHRONIQUE.

loureuse de plus. La vérité est que l’Espagne vit dans un état permanent de crise, que le trouble profond de l’armée ne peut que répondre à une situation morale, politique, sur laquelle on peut jeter toute sorte dévoiles, qu’une main vigoureuse peut encore maîtriser à un moment donné, mais qui ne reste pas moins pleine d’orages, et qui est d’autant plus dangereuse que le remède, à ce qu’il semble, devient chaque jour plus difficile.

L’Espagne aujourd’hui ne fait point une brillante figure en vérité, ni dans sa politique extérieure, ni dans ses affaires intérieures, ni dans ses finances, et ce n’est pas par ses campagnes dans l’Océan-Pacifique qu’elle se relèvera, malgré la bonne volonté qu’on a mise à tirer de médiocres exploits une satisfaction d’orgueil national. Lorsque le ministère actuel, qui se résume, à vrai dire, dans le général O’Donnell, arrivait au pouvoir il y a moins d’un an, il se présentait avec la pensée hautement avouée de replacer la politique de l’Espagne à l’extérieur et à l’intérieur dans des conditions plus normales. Ce n’était pas tout de proclamer cette pensée ; il fallait la réaliser, et le résultat a malheureusement jusqu’ici bien peu répondu aux intentions. Ce qui est certain particulièrement, c’est que le ministère n’a pas voulu ou n’a pas su débarrasser à temps la politique espagnole de toutes ces querelles avec les républiques sud-américaines dans lesquelles il y a certainement plus de dommages que de gloire. Et qu’est-il arrivé ? L’escadre espagnole est allée sur les côtes du Chili bombarder Valparaiso, c’est-à-dire une ville sans défense, un des principaux entrepôts commerciaux de l’Océan-Pacifique ; elle a tiré vengeance du Chili en frappant tous les intérêts étrangers accumulés à Valparaiso. Voilà sa première victoire ! Du Chili elle est allée au Pérou, où elle a recommencé ; elle a bombardé le port du Callao, qui s’est défendu, et cette fois, après avoir éprouvé des pertes assez sérieuses, elle s’est retirée en se tenant pour satisfaite parce qu’elle avait fait essuyer des pertes égales aux fortifications péruviennes. C’est sa seconde victoire, — après quoi la campagne de l’Océan-Pacifique a été déclarée terminée. C’est là ce qu’en plein parlement on a comparé à l’attaque de Sébastopol et aux plus grands exploits maritimes du siècle ! L’Espagne avait définitivement conquis son rang de puissance de premier ordre ! — Que l’Espagne ressente l’émotion des combats livrés par ses marins, soit, ce n’est point ce qu’il y a d’extraordinaire. Encore faudrait-il rester dans la mesure et voir de sang-froid le résultat. Le résultat, c’est que l’Espagne en est toujours au même point, qu’elle a aussi ses expéditions lointaines, qu’elle a simplement accompli une œuvre de destruction sans profit, puisqu’elle n’a pas même conquis la paix, et qu’elle n’a fait au contraire qu’envenimer ses querelles avec les républiques américaines, dont elle s’est fait pour longtemps sans doute des ennemies.

C’est donc là, somme toute, une assez médiocre campagne, et le calcul serait plus médiocre encore, si on avait espéré couvrir de ce voile d’une satisfaction d’orgueil national les troubles d’une situation intérieure singulièrement altérée. Les exploits lointains n’ont rien couvert et ne couvrent rien. Tous les partis peuvent se réunir un jour pour envoyer des applaudissemens à une escadre qui est au feu ; le lendemain, ils ne restent pas moins profondément divisés en présence de difficultés que le cabinet lui-même est loin de dominer de son autorité morale. Nous ne voulons