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REVUE. — CHRONIQUE.

et de débiter sur l’antagonisme supposé de l’aristocratie et des classes laborieuses quelques-uns de ces lieux communs populaciers qui ne correspondent point, grâce à Dieu, au sentiment vrai du public actuel, ne choquent pas moins le bon goût que le bon sens, et ne sont plus à l’usage des gens qui se respectent.

Nous ne pensons point que la perte du pouvoir soit un dommage pour les hommes éminens du parti libéral anglais et pour les idées généreuses et justes qu’ils représentent. Les libéraux feront mieux peut-être les affaires de leur cause dans l’opposition qu’au pouvoir. En matière de réforme électorale, les tories au pouvoir seront obligés, si le pays y met son cœur, de concéder plus que les ministres libéraux n’auraient pu accorder. Comment douter de l’influence, de la force et de l’avenir d’un parti dominé par des figures telles que celles de MM. Gladstone, Bright et Stuart Mill, celui-ci surtout, qui, depuis sa récente entrée au parlement, a acquis d’emblée une autorité d’orateur égale à celle que lui avait assurée sa supériorité de philosophe, d’économiste et d’écrivain. Considérés comme parti parlementaire, les libéraux gagneront dans l’opposition une cohésion et une habitude d’action collective qu’ils semblaient perdre sous le dernier ministère de lord Russell. Si le rôle de chef de parti convient à l’ambition de M. Gladstone, il en fera mieux l’apprentissage pratique sur les bancs opposés aux bancs ministériels ; il se débarrassera, dans cette épreuve, de ces non-valeurs que le vieux népotisme whig imposait aux cabinets du parti ; à côté de lui se formeront et se prépareront aux grands postes les hommes jeunes de l’opinion libérale, MM. Goschen, Stansfeld, Forster et leurs amis. Il ne faut donc point trop déplorer le stage d’opposition que vont faire les libéraux : ce sera pour eux un changement d’air, une précaution de santé. Soyez tranquille, l’Angleterre aura sa réforme électorale, et les libéraux ne seront probablement pas longtemps absens des offices ministériels.

Nous ne doutons point, d’un autre côté que lord Derby ne soit en état de composer, s’il le veut, un ministère fort respectable. La première pensée qui s’était présentée à lui était bien naturelle. Il aurait désiré, paraît-il, que le groupe des 44 libéraux qui ont voté l’amendement de lord Dunkellin consentît à fournir un contingent à son administration. Ce groupe renferme des influences parlementaires considérables ; il suffit de nommer des noms tels que ceux de lord Grosvenor, lord Elcho, M. W. Beaumont, M. Lowe, M. Horsman. Après tout, l’ancien torysme, avec ses superstitions et ses violences, a depuis longtemps cessé d’exister. S’il est des whigs qui tiennent aujourd’hui à s’appeler libéraux conservateurs, nous ne croyons point qu’il y ait beaucoup de tories qui voulussent refuser d’être appelés conservateurs libéraux. Entre des hommes qui ne se distinguent que par une transposition de substantif et d’épithète, la conciliation ne devrait pas être difficile. On dit pourtant que soit par respect pour les traditions de parti, soit par tactique, les libéraux conservateurs, les abdullamites,