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REVUE. — CHRONIQUE.

été seulement l’occasion et n’a point été la cause profonde de la chute du ministère. Dès le premier jour, l’administration formée par le comte Russell paraissait être mal agencée. Le parti peu homogène qui avait soutenu lord Palmerston était sorti des élections avec une majorité de 70 voix. La mort de lord Palmerston devait inévitablement dissoudre cette majorité, que le vieux ministre n’avait pu maintenir qu’au moyen d’une politique d’inaction. En effet, dès qu’il prit la succession de lord Palmerston, lord Russell dut porter le premier coup à l’ancienne majorité. Il fut obligé d’introduire dans l’administration des élémens nouveaux ; il ne pouvait choisir ces élémens sans accuser d’une façon prononcée les tendances du ministère. Il y avait deux groupes de candidats aux fonctions vacantes : d’un côté des whigs distingués par un remarquable talent oratoire et qui étaient déjà passés aux affaires, tels que MM. Robert Lowe et Horsman, mais qui s’étaient depuis plusieurs sessions opposés avec éclat aux tendances radicales du parti en matière de réforme électorale ; de l’autre côté étaient des libéraux avancés ou des radicaux inclinant plus ou moins vers les opinions de M. Bright, tels que MM. Göschen, Forster, Stansfeld. Lord Russell prit hardiment son parti sur les choses et sur les hommes ; quant aux choses, il se décida sur-le-champ à proposer un bill de réforme ; quant aux personnes, il tint à l’écart les libéraux conservateurs et appelait à lui les jeunes hommes distingués du libéralisme radical. M. Gladstone eut naturellement la direction de la chambre des communes, que personne dans son parti ne put songer à lui contester. La franchise de ses idées, la fougue et l’éclat de son talent ne pouvaient que donner plus de relief aux tendances accusées de la nouvelle administration. Avant même la présentation du bill de réforme, il était visible que la majorité ministérielle serait inévitablement réduite, et que les libéraux de la nuance de MM. Lowe et Horsman glisseraient vers l’opposition.

Le bill relatif à la franchise électorale et la stratégie adoptée par le ministère pour la présentation des mesures de réforme firent éclater tout de suite la dissidence. On comprend malaisément qu’un homme tel que lord Russell, qui a toute sa vie affronté avec une froide assurance les difficultés au lieu de les tourner, et qu’un homme comme M. Gladstone, au talent expansif et franc, aient pu s’assujettir à la tactique suivie dans la combinaison des mesures de réforme. Une mesure qui devait embrasser à la fois une extension populaire du suffrage électoral et un reclassement des districts électoraux, une mesure qui équivaut pour les Anglais à la réforme de leur constitution, devait être soumise à la chambre des communes avec une franchise courageuse dans son ensemble, afin d’en livrer le système entier au jugement de l’opinion publique et aux décisions du parlement. Au lieu de cette manière grande et confiante d’attaquer une question si importante, le ministère sembla vouloir employer la ruse et la finesse. Il eut l’air de se défier à la fois de lui-même et de la chambre, et cependant il prit vis-à-vis de celle-ci une attitude impérieuse. La réforme, lui disait-il, se composera