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REVUE. — CHRONIQUE.

tience imprudente avec laquelle ils se présentent à lui. Enfin un autre acteur, l’armée fédérale, dont l’organisation doit être aujourd’hui fort avancée, et à qui la diète a désigné pour chef le prince Charles de Bavière sous la direction du général Benedeck, va bientôt entrer en ligne, et à moins que les Prussiens n’obtiennent des succès rapides et décisifs, fera une diversion importante à leurs opérations en Bohême.

Qu’on se place au point de vue militaire ou au point de vue politique, il est manifeste que le grand intérêt de la guerre actuelle est en Allemagne. À côté des chocs qui auront lieu en Allemagne, les opérations dont l’Italie sera le théâtre n’auront qu’un caractère épisodique. Il importe surtout à la France de ne point se méprendre sur cette importance relative des deux guerres ; c’est à cette condition qu’elle conservera la neutralité et la liberté d’action que le gouvernement a déclaré vouloir nous ménager dans cette crise. Le péril serait de nous laisser entraîner par nos sympathies si naturelles pour l’Italie à des mesures qui pourraient indirectement altérer notre neutralité envers l’Allemagne. Certes notre neutralité toute seule, telle qu’elle a été expliquée par l’empereur à M. Drouyn de Lhuys, est déjà d’une utilité singulière pour les entreprises de la Prusse. Elle équivaut pour cette puissance à la disponibilité d’une armée. La Prusse laisse ses provinces rhénanes et la Westphalie entièrement dégarnies de troupes, et peut tourner contre l’Autriche des forces qui devraient être occupées à garder ses possessions occidentales, si elle n’était point assurée des dispositions de la France. Il faut souhaiter du moins que nous en restions là. La guerre est trop peu avancée encore pour qu’il soit opportun d’envisager au point de vue de la politique française les transformations de l’Allemagne qui en seront la conséquence. Il faut cependant prendre acte et tenir note des sentimens avec lesquels les peuples germaniques abordent cette crise. L’esprit de l’Allemagne est positivement contraire à la politique arbitraire et violente du gouvernement prussien. Ce gouvernement méconnaît l’esprit allemand ; il entre en lutte avec les tendances véritables du patriotisme allemand ; il est au sein de la confédération un promoteur de guerre civile, il fait acte de sécession. Ses desseins et ses entreprises sont jugés presque aussi sévèrement par le peuple prussien lui-même que par les autres populations germaniques. Les manifestations d’opinion qui ont précédé la guerre rendent sur ce point le doute impossible. Malgré l’ébranlement que la guerre imprime toujours aux opinions et aux sentimens d’un peuple, la protestation morale des populations prussiennes continue. Les élections primaires de la nouvelle chambre se font au cri de « point d’argent, si les garanties constitutionnelles continuent à n’être point respectées par le gouvernement. » Le mandat de l’opposition, qui formera certainement la majorité, sera de refuser les crédits demandés par le ministère, si les prérogatives parlementaires continuent à être foulées aux pieds. Le roi, dit-on, ne veut point faire de concessions au parti constitutionnel avant la fin d’une