Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
213
SCIENCES NATURELLES.

obligé de lutter contre les conditions physiques de la vie, contre ses semblables qui lui disputent les moyens d’existence, et contre ses ennemis naturels, que leur instinct pousse à le détruire. Ainsi vivre, c’est combattre. L’existence de chaque être dépend de la somme de résistance qu’il peut opposer à la concurrence vitale.

Certaines espèces ont une chance de salut dans leur fécondité extraordinaire, qui leur permet de combler sans retard les vides que la persécution ouvre dans leurs rangs, et de profiter immédiatement de chaque augmentation fortuite des moyens de subsistance pour se multiplier en proportion. Aussi les voyons-nous envahir une contrée aux dépens des espèces moins fécondes. Dans d’autres cas, une espèce s’accommode d’un climat donné avec une facilité toute particulière pendant qu’une autre y dépérit ; le froid, la pluie, les vents, servent d’auxiliaires dans cette lutte aux espèces favorisées, hâtent la destruction des espèces condamnées à céder la place aux premières. C’est ainsi que certaines plantes ne peuvent croître dans un champ à côté de certaines autres sans en être invariablement étouffées. Cette rivalité devient encore généralement plus vive et plus ardente entre les individus et les variétés d’une même espèce, obligés de se disputer plus directement leur subsistance. On a constaté que certains moutons de montagnes affament à tel point les autres variétés de moutons qu’on ne peut les faire paître ensemble. Il en est de même pour les plantes. Si on sème deux variétés de pois de senteur, et qu’ayant recueilli et mêlé les graines on les ressème de nouveau, au bout de très peu de temps on pourra remarquer que l’une des deux variétés seulement a survécu et a complètement supplanté l’autre ; c’est celle qui, mieux appropriée au sol et au climat, tire de là quelque avantage sur sa rivale. En Russie, la petite blatte orientale a partout chassé devant elle et remplacé sa grande congénère. Toutes les fois qu’une espèce ou une variété a été diminuée par une cause de destruction quelconque, d’autres en profitent pour s’accroître en nombre et pour s’affermir dans la possession du terrain. Dans cette lutte générale d’individu à individu et d’espèce à espèce, les faibles succombent et disparaissent ; ce sont les êtres les plus vigoureux, les plus sains et les plus heureux qui survivent et se multiplient. Tout est soumis à la loi du plus fort.

En suivant cette idée jusque dans ses dernières conséquences, un célèbre naturaliste anglais, M Darwin, s’est vu conduit à une explication fort ingénieuse de l’origine et de la disparition des espèces. Sa théorie est loin d’être à l’abri de toute objection, et en France elle compte peut-être encore, à l’heure qu’il est, plus d’adversaires que de partisans ; mais elle semble résoudre un si grand nombre de problèmes, coordonner tant de faits et lever d’un seul coup tant de difficultés en portant la lumière dans les coins les plus obscurs de la science, qu’il n’est point aisé de se soustraire à la séduction qu’elle exerce sur l’esprit. Voici le raisonnement sur lequel M. Darwin appuie ses déductions.

Les organes et les instincts sont variables jusqu’à un certain point. Or,