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LES VOIES ROMAINES EN GAULE.

D’ailleurs toutes les voies étaient loin d’avoir une égale importance, et de même qu’aujourd’hui on distingue plusieurs classes de routes, il y avait chez les Romains des localités principales, des embranchemens menant à des voies secondaires (diverticula), des voies de traverse (compendium), qui permettaient d’abréger la route, presque toujours un peu plus longue par les grandes voies établies originairement dans les parties les plus ouvertes et les plus accessibles. La ville de Compiègne, où les rois de la première race avaient une maison de chasse, paraît avoir dû son nom à une de ces routes abrégées qui dispensait de suivre la chaussée de Brunehaut, la seule qui avant François Ier traversât la forêt de Compiègne ou, comme on disait jadis, la forêt de Cuise. À la fin du XIIIe siècle, du temps du jurisconsulte Beaumanoir, on distinguait encore plusieurs catégories de voies ; les plus grandes portaient le nom de chemin de Jules César. On a vu plus haut que dans un capitulaire, qu’on fait remonter jusqu’au temps de Dagobert, les chemins sont partagés en trois classes : viœ publirœ, viœ corivicinales et semitœ. Les premiers sont devenus plus tard nos chemins royaux.

Il est certain qu’aux Xe et XIe siècles la viabilité tomba dans un piteux état. On n’exécutait de réparations qu’à l’entrée des ponts et des grandes villes, aux endroits devenus absolument impraticables. Les ponts n’étaient souvent pas mieux construits que les chaussées, et des chutes nombreuses n’attestaient que trop le peu de solidité des fondations. L’absence d’uniformité dans la largeur des routes qui variait suivant les coutumes locales de 24 à 60 pieds, en même temps qu’elle nuisait à la circulation, favorisait l’envahissement des riverains. Ceux-ci ne se faisaient pas faute d’arracher du pavé romain encore subsistant les pierres dont ils avaient besoin ; ils défonçaient le sol pour y chercher de la bonne terre à leur usage ; ils prolongeaient leurs sillons jusque sur les accotemens ; ils plantaient des haies et des arbres pour masquer leurs usurpations. Les plus osés allaient jusqu’à intercepter complètement la route qui, déviée forcément de son ancienne direction, était rejetée dans des parties parfois inaccessibles et inutilement allongée. C’est ce qui explique les courbes que ne tardèrent pas à faire d’anciennes voies originairement rectilignes. Ce déplorable état de choses se continua pendant des siècles. On ne s’en préoccupait guère, car on était habitué dans les transports et les voyages à des lenteurs, à des obstacles de tout genre. Comment aurait-on été révolté d’une telle condition de la voirie, quand à Paris même, jusqu’à l’époque de Philippe-Auguste, les voies ne furent pas pavées ? Après qu’elles l’eurent été, les communications ne devinrent pas pour cela beaucoup plus aisées. Le pavé de la capitale était