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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

— Je crois, reprit l’avocat, que vous avez bien fait de laisser ignorer à Mme la douairière ce qui s’est passé hier soir au château. Votre conduite a été généreuse et belle, je vous en loue de tout mon cœur.

— Quelle conduite ? répliqua Violante avec un terrible effort pour reprendre possession de soi-même et de son courage ; je ne vous comprends pas, mon père.

Elle n’avait pas prévu ce nouvel assaut, mais déjcà elle était prête à le soutenir.

— Il n’est jamais bien aisé de me tromper, reprit M. de Bochardière ; mais en cette circonstance, où tout le monde est aveugle, seul je ne le suis point et n’ai pas de raison de l’être. Violante, ce n’est pas vous qui aviez fait partir cette carabine.

— Et qui donc, fit Violante, si ce n’est pas moi ?

— Le marquis…

— Le marquis était-il dans la galerie, mon père ?

— Eh ! s’écria M. de Bochardière avec un geste d’impatience, voilà justement ce qui m’échappe. Je vous supplie de croire que, si je vous interroge, ce n’est point par curiosité, et je vous engage fort à ne pas user de votre opiniâtreté ordinaire pour ne point me répondre. Vous avez beau être raisonnable et hardie et vous en flatter souvent, vous ne pouvez prétendre follement à vous gouverner toute seule au milieu de conjonctures si graves qu’elles m’effraient presque moi-même. Je viens vous offrir du secours. Eh ! vraiment n’en ai —je pas le droit ? Ne suis-je pas votre père ? Vous m’accorderez peut-être aussi que je possède quelque clairvoyance. Eh bien ! je la mets à votre service. Mes yeux ici ne veulent être pleins que de votre intérêt.

— Je vous remercie, dit Violante ; mais je ne sais de quelles conjonctures vous parlez.

— Violante, s’écria l’avocat, si votre mari était atteint du mal de ses pères ?…

— C’est une chose qui ne peut arriver, répliqua lentement Violante, puisqu’il y a bien peu de temps encore, quatre mois à peine, lorsque vous vouliez me faire marquise de Croix-de-Vie, et que je ne voulais point l’être, vous m’avez assuré qu’elle n’arriverait pas.

— Quatre mois suffisent quelquefois à changer le monde, grommela M. de Bochardière en baissant la tête. Vous raisonnez comme un enfant. Certes mes prévisions alors étaient sages. Qui eût pu soutenir qu’elles n’étaient point justes ? Pourtant si quelque événement se présentait qui vînt tout à coup les démentir, si cet horrible malheur auquel j’ose à peine faire allusion vous frappait, Violante, que feriez-vous ?