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projections. Il ne paraissait pas non plus y avoir de véritable cratère, on apercevait seulement des fentes par lesquelles des torrens de gaz et de vapeur s’échappaient avec des sifflemens aigus. Aphroessa s’étendait dans la direction du nord au sud sur une longueur d’environ deux cent cinquante mètres; la hauteur, moitié environ de celle de l’île George, était d’à peu près trente mètres au-dessus du niveau de la mer. Cet îlot, de même que le monticule formé par l’île George, était entièrement constitué par une lave noire, brillante, dont l’aspect rappelait celui du verre noir, et semblable à la lave ancienne qui compose en grande partie; le sol de Santorin. Les laves modernes du Vésuve et de l’Etna sont beaucoup moins vitreuses; elles sont aussi plus denses, et présentent une composition chimique un peu différente, car elles renferment moins de fer et sont plus riches en silice. Le canal qui sépare Aphroessa de Nea Kameni était devenu si étroit et si encombré de roches, que nous ne pouvions le parcourir qu’avec les plus grandes précautions. Nous avancions en tâtonnant, aveuglés par la vapeur d’eau dans laquelle nous étions plongés, et respirant péniblement un air chaud et saturé de vapeurs. Pendant que nous traversions ce canal, de grosses bulles de gaz venaient incessamment frapper le fond dii notre barque avec un bruit redoublé comparable au roulement d’un tambour. L’abondance de ces dégagemens gazeux, jointe à la grande chaleur de l’eau, faisait croire au premier moment à une véritable ébullition. Il n’en était rien : dans les points les plus chauds, la température de la mer ne dépassait jamais 80 degrés.

Le canal une fois franchi, nous avons voulu contourner Aphroessa, mais grande fut notre surprise en apercevant tout à coup un nouvel îlot que nous n’avions pas vu la veille, et qui même, assurait-on, n’existait pas quelques heures avant le moment où nous l’avions découvert. Cet îlot pouvait avoir environ 30 mètres de diamètre et 1 mètre 1/2 d’élévation au-dessus du niveau de la mer. Il était composé de blocs de lave presque froids et semblables à ceux qui composaient les deux autres centres de l’éruption. J’y suis descendu avec le second de la Reka, nous l’avons parcouru dans toute son étendue. Le milieu de cet îlot était situé sur une ligne droite imaginaire passant par le sommet de l’ile George et par celui d’Aphroessa. Cette direction suivait certainement celle d’une fente du sol dont ces trois centres volcaniques n’étaient que les points les plus largement ouverts. Nous avons donné au nouvel îlot le nom de Reka en l’honneur de la corvette autrichienne, dont les officiers nous avaient rendu de grands services.

Le soir du même jour, nous sommes revenus de nouveau avec notre embarcation autour d’Aphroessa, afin de voir et d’admirer ce que nous n’avions vu jusqu’alors dans aucun autre volcan, je veux parler des flammes. Jusqu’à présent, les littérateurs et surtout les poètes n’ont jamais manqué de les mentionner toutes les fois qu’ils ont eu à décrire une éruption; mais le fait était bien moins certain pour les hommes de science, et l’existence de flammes véritables dans un centre volcanique en activité était à leurs