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I.

Le siège principal de l’éruption se trouve à la partie méridionale de la plus récente des Kameni, nommée Nea Kameni (nouvelle brûlée). L’apparition de cet îlot ne date que de 1707. L’éruption qui lui a donné naissance a duré cinq ans, de 1707 à 1712. D’après les récits du temps, on sait qu’elle a été signalée par des projections et des détonations d’une violence extrême ; mais depuis lors tout était rentré dans un état de calme presque complet. Le seul indice qui aurait pu faire penser à la probabilité de phénomènes volcaniques nouveaux était l’existence d’émanations singulières dans l’anse de Voulcano, qui découpait profondément le rivage méridional de Nea Kameni. L’eau de la mer y était presque constamment trouble et d’un vert jaunâtre ; parfois, principalement quand le vent soufflait du sud-est, cette teinte devenait plus foncée et passait au jaune rougeâtre. Des sels de fer en dissolution étaient certainement la cause de ces colorations anormales. En outre il s’en exhalait des quantités d’acide sulfhydrique assez notables. Ces émanations ayant été reconnues mortelles pour les animaux et les plantes marines, on avait eu l’idée d’utiliser les eaux de l’anse de Voulcano au nettoyage des carènes de bâtimens. En effet, deux ou trois journées de séjour dans ces eaux fétides suffisaient pour amener l’empoisonnement et la destruction des mollusques et des algues attachés à la coque des navires doublés de cuivre. Les habitans de Santorin mettaient aussi à profit les propriétés médicinales de l’eau de cette anse. Chaque année, ils y venaient pendant l’été prendre des bains, et même, afin d’y pouvoir passer commodément une partie de la belle saison, ils avaient fait bâtir des maisons tout le long d’un quai nouvellement construit. Deux églises, l’une grecque, l’autre catholique, s’élevaient en arrière des habitations, et tout faisait présumer que bientôt Nea Kameni deviendrait une station fréquentée. Tel était l’état de l’île à la fin de 1865[1]. À l’approche de l’hiver, les navires qui venaient relâcher dans l’anse de Voulcano étaient devenus rares, les baigneurs de Santorin avaient regagné leurs foyers, et il ne restait à Nea Kameni qu’une seule famille chargée de veiller à la garde des habitations. Ces gens vivaient fort tranquilles dans une maison située sur le bord de la mer, au pied de l’ancien cône de Nea Kameni. Jusqu’à la fin du mois de janvier 1866, ils ne remarquèrent rien de particulier. Peut-être cependant un examen attentif les eût-ils avertis plus tôt du péril prochain ; il n’est pas douteux par exemple que l’eau de la mer ne soit devenue

  1. Les trois îles de Santorin, de Therasia et d’Aspronisi ont fait autrefois partie d’un même tout. À l’époque où s’est effectué le dépôt du terrain tertiaire pliocène, l’emplacement de la baie était occupé par une grande île volcanique de forme arrondie, dont le centre s’est effondré subitement un certain jour en même temps que les bords se soulevaient. La mer s’est précipitée, par la dépression du sol comprise entre Therasia et Santorin, dans le gouffre qui venait de se creuser ainsi, et la baie s’est trouvée constituée à peu près avec la configuration qu’elle possède actuellement.