Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/1006

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieu lieu de ces occupations que la mort vint la surprendre le 22 avril 1566. Sa volonté dernière fut que son corps, après avoir été exposé dans l’église des filles pénitentes à Paris, fût transporté ensuite dans son château d’Anet. C’est là qu’avant la révolution on pouvait voir son mausolée, qui depuis a été transporté au musée des Petits-Augustins. Quatre sphinx de marbre blanc soutiennent un sarcophage sur lequel Diane est représentée agenouillée dans le costume de l’époque, les mains jointes devant un livre ouvert sur un prie-Dieu. Son testament, minutieux, détaillé, rédigé avec cette précision pointilleuse qui caractérise tout ce qu’elle a écrit, est empreint de sentimens de piété. Elle demande des messes, des cierges, des processions. Elle se préoccupe d’une manière toute particulière des maisons religieuses ouvertes aux filles de mauvaise vie, comme si elle reconnaissait, au fond de sa conscience, une analogie entre leur destinée et la sienne. Jusque dans ce testament même reparaît la femme de lucre et d’intrigue : elle y parle de ses biens comme « venant en partie de son labeur, » expression d’une cynique naïveté qui peint un caractère et qui résume une existence.

La réputation de Diane de Poitiers ne gagnera pas aux nouvelles études faites sur son caractère. Si ingénieux, si complaisans qu’ils soient, les apologistes des reines de la main gauche ne peuvent découvrir dans cette destinée rien qui charme l’imagination, rien qui séduise le cœur, rien qui doive désarmer la juste sévérité de l’histoire. Parmi toutes les lettres récemment publiées, on n’en trouve peut-être pas une seule où il y ait quelque chose de tendre ou d’humain. Le personnage officiel ne se dément jamais. C’est une femme sans attendrissement, sans larmes, sans sourire, beauté virile qui a la force, l’énergie, la résolution, mais dans laquelle on cherche en vain les véritables attributs de son sexe, la grâce et la bonté. C’est le type des favorites royales, de ces grandes intrigantes, moitié ministres, moitié maîtresses, qui traitent le sentiment comme une affaire d’état et apportent dans le triomphe du vice une sorte de décorum et de gravité. N’est-ce pas assez que ces femmes, si chèrement entretenues par la France, aient été de leur vivant l’objet des flatteries les plus basses, de l’idolâtrie la plus servile? Faut-il encore que leur mémoire ait des panégyristes enthousiastes? Félicitons M. Guiffrey d’avoir échappé à cette littérature de boudoir, à cette manie de réhabilitations malencontreuses qui semblent un défi à la morale et au bon sens. Diane de Poitiers, quoi qu’on en dise, fut le mauvais génie de Henri II. Mieux dirigé, ce prince eût été capable de grandes choses. Diane lui ôta le respect de lui-même. La prétendue « divinité de la renaissance » ne mérite point d’apothéose, et, si l’histoire n’est pas une école de scandale, elle n’aura jamais d’indulgence pour des femmes qui ne furent en réalité que des modèles de courtisanes.


IMBERT DE SAINT-AMANND.