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de sa maîtresse sexagénaire, la livrée noire et blanche des veuves, que Diane n’avait jamais quittée.

Les ambassadeurs vénitiens racontent que François II envoya dire à la favorite détrônée qu’en raison de sa mauvaise influence auprès du feu roi elle mériterait un grand châtiment, mais que, dans sa clémence royale, il ne voulait pas l’inquiéter davantage, que néanmoins elle devrait lui restituer tous les joyaux qu’elle tenait de Henri II. Elle fut aussi obligée de céder à Catherine de Médicis la magnifique terre de Chenonceaux, et reçut en échange le sombre château de Chaumont-sur-Loire. Heureuse que la vengeance de la reine-mère n’allât pas plus loin, Diane accepta sans murmure ce désavantageux marché, et, bientôt réconciliée avec le nouveau règne, elle vécut sept ans encore dans son château d’Anet au sein d’une opulente et fastueuse retraite. Elle avait marié ses deux filles à de grands personnages, les ducs d’Aumale et de Bouillon. Enrichie des dépouilles de la France et conservant encore des restes de beauté, elle brava jusqu’à la dernière heure les outrages des ans et de la fortune.

La vie de Diane de Poitiers fut, au point de vue de l’intrigue et de la cupidité, un succès continuel. Cependant cette femme si habile dut subir dans sa longue carrière les tristesses qui accompagnent le triomphe de l’immoralité. Il y a toujours au fond des situations fausses quelque chose de douloureux, et si le sens moral était peu développé au XVIe siècle, si l’on ne connaissait guère ces délicatesses de conscience qui poétisent les illustres pénitentes du siècle de Louis XIV, il n’est pas moins permis d’affirmer qu’il manquait à Diane de Poitiers le bien suprême, la paix du cœur. Ne trouve-t-on pas les traces d’une mélancolie profonde dans cette lettre qu’elle écrivait à Mme de Montagu? « Quand donc me vyendrès vous vysyter, madame ma bonne amie, estant bien désireuse de vostre veue qui me regalardiroit en tous mes chagrins que fusse-t-il, et bien voyes ce qu’advyent souvent de monter au dernyer degré qui feroyt croire que l’abyme est en hault. » C’est ainsi qu’arrivée au sommet de sa fortune la toute-puissante favorite voyait comme un gouffre devant elle, et ressentait ce trouble, cette vague inquiétude qui est le châtiment de l’ambition satisfaite. Sans doute elle dut entendre plus d’une fois l’écho des cris des malheureux qui payaient de leurs épargnes, quelquefois de leur vie, la réalisation de ses caprices. Lorsqu’elle trônait au milieu des merveilles de Chenonceaux, de ce « charmant castel fleuronné, blasonné, flanqué de jolies tourelles, orné de cariathides, contourné de balconnades avec enjolivations dorées jusqu’en hault du faiste, » tous ces fleurons, toutes ces arabesques ne devaient-ils point parfois se teindre de la couleur du sang, et les pensées sinistres ne pénétraient-elles pas dans ce « sylvestre et plantureulx bocage arrosé de fontaines, verdoyant comme un pré d’apvril? » Les fondations pieuses auxquelles Diane consacra les derniers temps de sa vie accusent le besoin qu’elle avait de se réconcilier avec Dieu. C’est au mi-