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votion profonde était le roi au moment de recevoir la couronne et lui ayant demandé depuis de lui vouloir bien dire pour qui il avait tant prié Dieu, le roi lui avait répondu que ce n’était pas pour une autre fin que la suivante : que si la couronne qu’il allait prendre promettait un bon gouvernement et assurait le salut de ses peuples, Dieu lui fît la grâce de la lui laisser pour longtemps, qu’autrement il la lui prît bien vite. » — « Le roi, dit encore Lorenzo Contarini, ne manque pas aux devoirs de la religion ; il va à la messe chaque jour, entend les vêpres les jours de fête, va aux processions à certains temps de l’année et honore chaque fête principale en touchant chaque fois avec autant de patience que de dévotion de nombreux malades atteints de scrofules, lesquels, au seul toucher du roi, prétendent être guéris. » Louis XV avait aussi, malgré tous ses désordres, un fonds de religion mal comprise, mais sincère, et les remords, qui existaient à l’état latent dans son cœur, étaient sans doute l’une des causes de sa perpétuelle tristesse. « Le roi ne fait point ses pâques, écrivait d’Argenson en 1740, de peur de se brouiller tout à fait avec Dieu. Il marmotte à l’église ses patenôtres et prières avec une décence d’habitude, et il ménage pour d’autres temps la pratique complète du salut. »

La supériorité du règne de Louis XV sur celui de Henri II, c’est qu’au moins il n’est pas souillé de cruautés. Mme de Pompadour était ce qu’on appelle vulgairement une bonne personne ; Diane de Poitiers au contraire, persécutrice des protestans, enrichie par les confiscations et les supplices, apparaît sous un double aspect, tour à tour gracieuse et terrible. Les fresques de Fontainebleau la montrent comme la déesse de la fable, tantôt en souveraine lumineuse de la nuit, tantôt en sombre Hécate entourée des flammes infernales. On dirait que les reflets des bûchers jettent sur sa figure des lueurs sinistres. Le côté odieux du règne, c’est la persécution. Qu’un moine espagnol, amaigri par le jeûne, macéré par la discipline et le cilice, soit fanatique, il inspire plus de compassion que de haine ; mais ces âmes épicuriennes et voluptueuses qui font de la cruauté un raffinement pour leur sensualisme, qui mêlent les bûchers aux tournois et se délectent à la vue du supplice de l’estrapade, ces âmes font naître un sentiment d’indignation inexprimable. Autant, sous Henri II, les basses classes étaient sincères dans leurs superstitions et leur fanatisme, autant l’on trouvait dans les hautes régions de scepticisme et de froid calcul. La persécution religieuse faisait partie, pour ainsi dire, du cérémonial de la cour. À chaque fête, on étouffait des hérétiques dans les flammes en signe de réjouissance publique. Le jour de l’entrée solennelle du roi dans sa bonne ville de Paris, on ne manqua pas à cette coutume. Henri, qui revenait au palais des Tournelles, après avoir assisté à des joutes brillantes, voulut contempler de près un des bûchers. Il reconnut la voix d’un de ses anciens domestiques qui expirait dans les tortures du feu. Le sacre et le couronnement de la reine donnèrent lieu à de nouveaux supplices. Un pauvre