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mais par d’autres motifs que l’astucieuse Italienne. C’était chez la vertueuse femme de Louis XV résignation chrétienne, bonté d’âme, humilité ; chez Catherine, la soumission était une adresse, un calcul. Sans doute ses astrologues lui avaient prédit que l’heure viendrait où elle assouvirait sa seule passion, la passion de gouverner. Cette heure, elle l’attendait silencieusement et ne voulait point compromettre sa fortune par une impatience qui n’eût pas été politique. Elle se disait d’ailleurs qu’une autre maîtresse vaudrait peut-être moins que Diane. Ce fut aussi le raisonnement de Marie Leczinska. « La reine, rapporte le duc de Luynes, traite d’une manière très convenable Mme de Pompadour… Elle dit souvent que, puisqu’il y a une maîtresse, elle l’aime mieux qu’aucune autre. » La marquise, qui savait que la reine aimait beaucoup les fleurs, ne cessait de lui envoyer des bouquets. Elle se sentait flattée de voir qu’elle n’était pas inutile à la reine auprès du roi[1]. » Ainsi donc, sous Louis XV comme sous Henri II, c’était la maîtresse qui protégeait la femme légitime. Entre la vie de la duchesse de Valentinois at celle de la marquise de Pompadour, il y a d’autres points de ressemblance. Toutes deux déployèrent une avidité sans bornes ; toutes deux furent des femmes politiques, des personnages d’état, comme dit Duclos. Toutes deux s’entourèrent d’un cortège d’artistes et surent triompher avec un mélange d’orgueil et de prudence. Il existe aussi entre Henri II et Louis XV de remarquables analogies de caractère. Les deux princes étaient braves, aimaient la chasse, avaient l’abord et la prestance de gentilshommes accomplis. Ils étaient nés l’un et l’autre avec une certaine bonté de caractère ; mais les hommages idolâtres dont on les entourait avaient détruit le germe de leurs qualités. Et cependant ces souverains, qui vivaient au milieu d’une pompe féerique et qui épuisaient toutes les merveilles et tous les raffinemens du luxe, n’étaient pas véritablement heureux. Matteo Dandolo raconte que Henri II était de nature sombre et taciturne, que les courtisans disaient ne l’avoir jamais vu rire une seule fois. Le duc de Luynes nous apprend que Louis XV, blasé et rassasié de tout, avait des momens « de tristesse et d’une humeur qu’il fallait connaître pour ne pas la chagriner. « Si Henri II montrait « un naturel fort débonnaire et tant plus aisé à tromper, de sorte qu’il ne voyait et jugeait que par les yeux, oreilles et avis de ceux qui le possédaient, » Louis XV, avait un fonds de timidité naturelle, un embarras qui fit toujours partie de son caractère. Comme le remarque un homme qui le voyait tous les jours. Le Roy, lieutenant des chasses de Versailles, son indolence le portait à céder facilement à tout ce que ses ministres lui proposaient sans prendre la peine de l’examiner. Les deux princes avaient en apparence des sentimens très religieux. « Mme la sénéchale, dit Matteo Dandolo dans une de ses relations au sénat de Venise, racontait à une dame d’honneur que, remarquant en quelle dé-

  1. Mémoires du duc de Luynes, t. II, p. 228.