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croyances se gardent bien d’attirer sur eux l’attention publique. Leurs premiers progrès sont lents et secrets ; le temps s’écoule avant que la doctrine ait acquis le droit d’être ouvertement prêchée, et il arrive naturellement que dans cette longue obscurité le souvenir des premières années s’efface. Plus tard, quand on veut se rappeler les origines de la religion victorieuse et honorer ses premiers apôtres, il n’est pas toujours facile de dissiper les ombres dont ils se sont volontairement couverts. Ces mystères, ces incertitudes mettent à l’aise l’imagination des fidèles : en l’absence de faits bien connus, elle se sent plus libre d’inventer ce qui lui plaît ; c’est un plaisir qu’elle se donne facilement dans ces temps de crédulité, et chez nous elle ne se l’est pas refusé plus qu’ailleurs. Sur l’époque où le christianisme a pénétré dans la Gaule, il y a deux opinions très différentes : celle des écrivains sérieux et celle du peuple, la tradition et l’histoire. Si l’on consulte la tradition, ce sont les disciples mêmes de Pierre et de Paul qui ont prêché à la Gaule la nouvelle doctrine ; aucun peuple ne nous a précédés dans la foi ; nous sommes bien véritablement les fils aînés du christianisme. Chaque ville importante se fait de ses mains un passé glorieux. Elle a, dès le premier siècle, ses confesseurs, ses évêques, ses martyrs, qu’elle invoque avec plus de confiance que ceux de la ville voisine, auxquels elle crée des légendes et bâtit des églises. Si l’on étudie les historiens, toute cette brillante antiquité se dissipe. Sulpice Sévère affirme qu’il n’y a pas eu de martyrs en Gaule avant Marc-Aurèle, et la vie de saint Martin nous montre que vers la fin du IVe siècle les pays du centre étaient encore tous païens ; il n’y est question que de prêtres confondus, d’idoles renversées et de temples détruits[1].

Cette persistance du paganisme dans la Gaule ne doit pas surprendre. Tous les terrains n’étaient pas également préparés pour la nouvelle doctrine. Il était naturel qu’elle fît les progrès les plus rapides dans les pays où l’influence romaine avait le plus profondément pénétré, qu’elle avait le plus imprégnés de ses qualités et de ses vices. Les gens simples et naïfs, les ignorans, les campagnards, tous ceux qui, réfléchissant peu, laissent plus de prise sur eux au passé et aux habitudes, se contentaient facilement des religions anciennes. C’étaient surtout les esprits cultivés, chez qui des connaissances étendues éveillaient, sans la satisfaire, une curiosité

  1. Un feuillet de papyrus, découvert récemment à la Bibliothèque impériale et décrit dans un mémoire très intéressant de M. Léopold Delisle, membre de l’Institut, contient un sermon de saint Avit qui fut prononcé à Genève à la dédicace d’une église fondée en remplacement d’un temple païen. Il y avait donc encore des temples debout au VIe siècle dans un des pays les moins sauvages de la Gaule.