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théorie de la cristallisation, de former des collections complètes de cristaux bien purs, et de rendre à ses occupations chéries un savant que les malheurs de la révolution ont mis dans l’impossibilité de soutenir sa famille. »

Les derniers mots de ce rapport montrent que Leblanc n’avait pas échappé au sort ordinaire des inventeurs, et qu’il ne lui avait pas été donné de retirer grand profit de la découverte dont il avait enrichi l’industrie française. Cette découverte cependant, au moment même où fut rédigé ce dernier rapport, faisait déjà la prospérité de plusieurs grands établissemens. Si Leblanc éprouva dans sa carrière industrielle de cruels mécomptes, il ne paraît pas en avoir été abattu, et il semble au contraire qu’il ne considérait l’installation de sa fabrique de soude artificielle que comme un incident accessoire de sa destinée. Il y avait en lui du savant plus que du manufacturier. Déçu par l’usine, il rentra dans le laboratoire, et jusqu’à la fin de sa carrière poursuivit avec ardeur ses recherches sur la cristallisation. En 1802, la protection et les secours du citoyen Molard, directeur du Conservatoire des arts et métiers, lui permirent de continuer, dans un des laboratoires de cet établissement, ses persévérantes études. Il s’y adonna tout entier, et, sans parvenir à former une collection complète, comme il le voulait, put présenter aux yeux du public des produits très remarquables. Cette collection de cristaux était sa constante et chère préoccupation. « J’aurais pu l’avancer depuis plus de vingt ans, écrit-il avec mélancolie ; elle sera reprise un jour… Si cet art peut être rétabli…, qu’une main plus heureuse, un observateur plus éclairé s’en occupe ! Je serai consolé de n’avoir pu trouver de secours pour porter mon travail plus loin. » De la soude, pas un mot ; de cette fortune entrevue, pas un regret. Dans les écrits où il nous raconte vingt années de travaux patiens, à peine si une note succincte mentionne les deux années qu’il a consacrées à établir la fabrique de soude.

Les regrets se seraient bien compris cependant, et quelque amertume même chez le vieil inventeur eût été fort excusable, car Leblanc avait certainement conscience du service qu’il avait rendu à la France, et jamais peut-être entreprise industrielle ne débuta sous d’aussi favorables auspices. Leblanc n’eut pas plus tôt pris un brevet d’invention (27 janvier 1791) pour son procédé, qu’il parvint à trouver les ressources nécessaires à l’exploitation de son brevet avec un prince du sang pour associé. Une société se forma entre Leblanc, Dizé, Schée et le duc d’Orléans. Leblanc apportait dans l’association son brevet, Dizé un procédé de préparation de la céruse et du sel ammoniac ; les deux autres sociétaires fournissaient les capitaux ; On fonda l’usine de Saint-Denis ; on surmonta les premières difficultés qui attendent invariablement tout inventeur