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vant la citation, et cependant je vous déclare que Salomon même dans toute sa gloire n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux. — j’ai lu quelquefois l’Évangile dans les jours oh j’étais triste ; mais ces jours-là sont passés, mon cousin.

De quel ton elle avait dit cela, et le dernier mot surtout : mon cousin ! En même temps elle le salua d’un signe de tête et s’achemina vers la porte. Elle n’avait pas compté sur sa présence et n’y trouvait point de plaisir, il ne s’en apercevait que trop bien. Elle sortit de la chapelle —, il la suivit des yeux par une fenêtre du chœur et la vit gagner les jardins.

Un mois auparavant, lorsqu’elle était venue pour la première fois dans le château, elle était aussi entrée d’abord dans la chapelle ; la première rencontre qu’elle avait faite à Croix-de-Vie avait été aussi l’abbé. En pénétrant ensuite dans les jardins, elle avait vu comme en ce moment se déployer devant ses yeux la splendeur de l’édifice immense, avec sa façade brodée dans son orgueilleuse richesse. On voulait alors que tout cela fût à elle ; il y avait une conspiration formée contre son cœur, qui ne demandait d’autres biens que la paix et la liberté. Le complot avait réussi, et maintenant elle était la maîtresse de dire : Tout cela est à moi !… De ce côté du château, elle ne pouvait apercevoir la galerie du nord, toujours habitée par celui qui était aussi à elle ; mais le marquis ne pouvait non plus la découvrir dans les jardins. Elle longeait la terrasse de l’ouest. Au-dessous commençait la campagne sèche et noire, puis venaient les mortelles prairies jaunes, puis la rivière avec la morne grimace des saules ; au loin l’horizon fermé, au ciel l’entassement de nuées qui ne cesse jamais de planer sur cette tristesse éternelle. Autant valait Bochardière que Croix-de-Vie. — Je n’ai peut-être fait que changer de prison, se disait Violante avec un indéfinissable sourire.

Et son père qui ne venait point ! Lui aussi il la laissait seule. Elle l’attendait depuis son réveil ; jamais il ne lui était arrivé de désirer si fort sa présence ; jamais elle n’avait senti à ce point l’embarras de sol-même, ni dans son esprit ces anxiétés innomées, ni ce poids cruel sur son cœur. Pourquoi était-elle sortie de la maison plutôt que d’y demeurer ? N’eût-elle pas dû préférer à cette sotte promenade le repos et les libres réflexions dans le bel appartement que Martel lui-même, — elle le savait bien, — avait fait préparer pour elle ? Et que lui faisait la visite de la douairière ? Mais, étant sortie, pourquoi avait-elle choisi ce chemin plutôt qu’un autre ? Elle résolut de pousser jusqu’au bout de cette terrasse, puis de revenir sur ses pas et de rentrer au château. Aussi bien il fallait que son père l’y trouvât en arrivant de Bochardière. Déjà elle atteignait le but qu’elle s’était marqué ; elle s’appuya sur le mur à