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Évangile se justifie amplement d’ailleurs par un récent et remarquable ouvrage où ces problèmes sont traités in extenso et, nous pouvons l’ajouter, de main de maître. Le nom de M. Scholten, déjà connu des lecteurs de la Revue[1], est à lui seul une garantie de savoir profond et consciencieux, de christianisme ferme et libéral.


I

Nous partons du fait évident qu’il y a une différence sensible entre le quatrième Évangile et les trois autres. Il faut, en premier lieu, déterminer la nature et l’étendue de cette différence.

D’abord le style nous transporte d’emblée dans un monde tout différent. A la place du grec des synoptiques, populaire, très simple, très réaliste, concis, rapide, rempli d’hébraïsmes, le quatrième Évangile parle un langage philosophique, mystique, passablement traînant et prolixe, souvent très élevé, parsemé d’expressions abstraites et sentant l’école. Ces termes, — le Verbe, la Vie, la Lumière, le Paraclet, la Vérité, — employés dans le sens théosophique alexandrin, dénotent une phraséologie fortement marquée au coin d’une école particulière, dont, au Ier siècle de notre ère, Philon d’Alexandrie peut être considéré comme le plus éminent organe. Cette différence de la surface se relie à une différence de fond plus remarquable encore.

Si nous prenons les synoptiques dans leur ensemble, il n’y a pas plus de six ou sept épisodes de la vie de Jésus qu’ils reproduisent d’accord avec le quatrième Évangile, et le plus souvent celui-ci les raconte avec de notables divergences ou les envisage sous un autre point de vue. C’est en vain aussi que l’on chercherait dans les synoptiques soit les longues dissertations que l’Évangile de Jean met dans la bouche du Christ s’adressant aux Juifs ou à ses disciples, soit la plupart des événemens prodigieux qui d’ordinaire servent de thème à ces dissertations. Ainsi le miracle des noces de Cana, la guérison du paralytique de Béthesda, celle de l’aveugle-né de Jérusalem, la résurrection de Lazare, etc., ne se trouvent pas dans les trois premiers Évangiles. Et il faut bien noter qu’il est impossible de recourir à des combinaisons qui permettraient d’encadrer l’un dans l’autre les deux récits de manière à les compléter mutuellement sans faire violence ni à l’un ni à l’autre. Pour exemple de cette impossibilité, prenons la résurrection de Lazare. D’après le quatrième Évangile, cet événement aurait eu une influence décisive sur la tournure tragique que

  1. Voyez," dans la Revue du 15 juin 1860, l’article intitulé les Controverses et les écoles religieuses en Hollande.