Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/914

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ici se dessine l’intéressante figure de M. Organ, l’instituteur des prisonniers de Smithfield. Sans mission expresse, n’obéissant qu’à un élan de charité chrétienne, cet homme, doué d’un merveilleux ascendant, s’est constitué l’intermédiaire des convicts libérés sous condition, et des manufacturiers chez lesquels ces malheureux peuvent trouver à gagner honnêtement de quoi vivre.

Pendant de longues années, M. Organ a persévéré dans sa voie difficile. Sa patience a usé les obstacles. Chaque expérience faite lui profitant, il a pu devenir comme le symbole vivant de cette garantie de l’état que réclame l’industriel appelé à recevoir dans ses ateliers un condamné sortant des prisons publiques. C’est à lui que le patron, volontiers soupçonneux, et le libéré, volontiers susceptible, confient par préférence leurs sujets de plainte, leurs griefs mutuels. Il est l’arbitre-né des légers différends qui pourraient survenir entre eux, et son influence sur les convicts qui ont reçu ses leçons a pu aller, jusqu’à leur persuader qu’ils devaient laisser entre les mains de leurs nouveaux patrons, à titre de dépôt et en quelque sorte de cautionnement, une partie de ce pécule si péniblement gagné que la caisse de la prison leur délivre par fractions, à des intervalles calculés sur les besoins probables du prisonnier émancipé.

Cette surveillance après libération, ce souci qu’on prend de la destinée des convicts, quand on pourrait se croire affranchi de toute responsabilité à leur égard, compte pour beaucoup dans les avantages du système irlandais sur le système anglais. La statistique jette sur ce point une vive lumière. Malgré la difficulté bien établie, bien avérée, que trouve le juge anglais à reconnaître, dans le prévenu qu’on lui amène, un homme frappé de condamnations antérieures, on constate des récidives très nombreuses[1]. En Irlande, sur près de cinq mille condamnés (4,960) dans la période comprise entre le commencement de 1856 et la fin de 1862, on compte seulement 510 récidivistes et 107 révocations de licence.

Ces récidives, qui vont malgré tout à 10 pour 100, prouvent que l’organisation pénale inaugurée par sir W. Crofton n’a pas encore dit son dernier mot. Il est d’ailleurs certain que les plans les plus ingénieux, conçus d’après les principes les plus sains et appliqués avec tout le zèle, toute l’habileté qu’on peut souhaiter, rencontrent, par exception il est vrai, des natures trop perverties, trop réfractaires aux bonnes influences, pour qu’on les ramène ou les

  1. En 1863, par exemple, les convict-prisons reçoivent un total de 2,848 condamnés mâles. Dans le cours de la même année, 588 condamnations sont prononcées contre des libérés définitifs, 106 contre des libérés à titre provisoire, sans parler de 83 révocations de licences (annulations de tickets of leave), en tout 777 récidives ou menaces de récidive. (Our Convicts, t. I, p. 202.)