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À cette malheureuse victime, le destin cependant n’avait accordé qu’une trêve. Après le départ de son bienfaiteur, Anderson retomba peu à peu dans une sorte d’irritation mentale qui allait toujours s’aggravant. La dernière personne qui voulut bien s’enquérir de lui dut aller le chercher au fond d’un cabanon d’aliéné. Il la reconnut pour un des amis du capitaine Machonochie, et leur entretien roula exclusivement sur ce dernier, auquel son ex-protégé conservait le plus reconnaissant, le plus affectueux attachement.

Quand on évoque de pareils souvenirs, n’est-il pas triste de penser que l’homme dont ils honorent la mémoire a dû, faute de trouver chez ses supérieurs le concours dont il avait besoin, laisser inachevée sa grande tâche, incomplètes ses utiles réformes, — le tout parce qu’il avait devancé l’heure où il pouvait être compris, et où la tradition, la routine, allaient faire place à un système basé à la fois sur les vrais principes du droit social et sur la connaissance expérimentale de l’être humain ?


III. — LE SYSTEME ANGLAIS ET LE SYSTEME IRLANDAIS. — LES TROIS ETAPES. — LES PRISONS DE TRANSITION.

Nous avons laissé voir dès le début de cette étude que le système de servitude pénale inauguré en Angleterre à partir du moment où la transportation se trouva presque entièrement abolie n’avait pas donné, à beaucoup près, les heureux résultats qu’on en espérait. Trop de droits reconnus aux convicts, une atténuation trop grande de l’élément pénal, des procédés trop exclusivement mécaniques, une application stricte de la règle, sans discernement et sans vrai zèle, par des agens quelquefois inintelligens, une trop grande confiance dans les êtres ramenés ainsi à une obéissance purement extérieure, des libérations conditionnelles (tickets of leave) accordées à profusion et sans précautions suffisantes, un étrange et absurde scrupule qui plaçait le libéré provisoire en dehors de toute surveillance efficace, — tels étaient les défauts les plus saillans de cette organisation. Ils mirent un instant en péril les principes mêmes sur lesquels elle était basée. Par bonheur, en vertu des mêmes principes et de par les mêmes dispositions légales, une expérience pareille se poursuivait en Irlande, et malgré des obstacles spéciaux, malgré des circonstances bien moins favorables, produisait d’excellens résultats, quelque temps douteux et contestés, maintenant bien établis pour tout esprit impartial.

C’est qu’en Irlande s’était rencontré un second Machonochie dans la personne du capitaine Walter Crofton[1]. Cet homme

  1. Aujourd’hui sir W. Crofton, car le gouvernement a cru devoir récompenser par un titre nobiliaire ses pénibles et glorieux services. Il eût peut-être mieux fait de ne pas lui retirer, par une économie mal entendue, quelques-uns de ses meilleurs auxiliaires, et de ne pas lui imposer ainsi des travaux excessifs qui, détruisant sa santé, l’ont mis dans la nécessité de renoncer à ses fonctions ;