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bien soigné, ni traité avec autant de ménagemens, autant d’égards que dans ceux où le condamné subit sa peine. La contradiction est flagrante, puisque la work-house abrite des malheureux parfaitement honnêtes, le reformatory des enfans, des adolescens dont l’âge même atténue les légers délits, les county-gaols des accusés, voire des prévenus réputés innocens jusqu’à preuve contraire. Malgré tout ce qu’une pareille antithèse a d’immoral, le condamné (parfois un voleur, parfois un assassin bien avéré) n’en est pas moins l’objet des préférences les plus marquées : il est envié, jalousé par les misérables habitans de la « maison de travail, » qui sont, eux, purs de tout délit et qui gagneraient au change matériellement, s’ils troquaient leur innocence contre sa culpabilité.

D’adoucissemens en adoucissemens, le système anglais en est venu à effacer du code des prisons presque tout ce qui répond à l’idée de châtiment ; on a peu à peu perdu de vue la nécessité d’imprimer dans l’âme du coupable, en regard du souvenir de son crime, celui d’une expiation terrifiante. Les rigueurs du régime ont été graduellement atténuées ; on a découvert que le travail attrayant était plus réformateur que le travail qui rebute. Le fait est que le premier s’obtient avec moins de peine et rapporte peut-être un peu plus. Cette dernière considération, qui répond à la tendance industrielle de l’esprit anglais, semble devoir prédominer, et la prison, par une série de transformations graduelles, se métamorphose en atelier. Tout naturellement le condamné perd de vue et le sentiment de sa déchéance et la nécessité d’une réforme. Pendant la première année de sa captivité, retenu dans une des deux prisons cellulaires (Pentonville ou Millbank), il a parfois entendu les conseils de la religion, parfois reçu quelques enseignemens plus ou moins adaptés à l’état inculte de son intelligence, que tout effort décourage ; mais une fois admis au travail en commun, à Portland, Chatham, Woking, Dartmoor, Broadmoor[1], cette œuvre de guérison morale paraît être abandonnée. On le livre sans défense aux influences d’une communauté désastreuse, et il respire à pleins poumons cette atmosphère empoisonnée qu’on écartait de lui au début. Les gardiens ne se posent plus que le problème de vivre en bons termes avec le détenu et d’en obtenir la plus forte somme de travail utile. Nous voyons bien sur la liste du nombreux état-major des prisons modèles un chapelain et son assistant, un lecteur d’Écritures (Scripture-reader) et quatre maîtres d’école, mais à ce luxe officiel ne correspond aucun résultat appréciable. Les

  1. Les travaux de Dartmoor sont réservés aux valétudinaires ; ceux de Broadmoor, aux hommes dont l’état mental laisse quelques inquiétudes.