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cuivrées à voir dans le missionnaire chrétien le messager des armées d’invasion. L’Angleterre, déjà surchargée de colonies, a fait acte de politique et de sagesse en s’abstenant d’annexer de nouvelles îles à son vaste empire ; elle s’est gagné ainsi les bonnes grâces des chefs insulaires. Dans ce grand désert d’eau océanique, elle trouve maintenant des points de ravitaillement pour ses navires, des stations pour ses baleiniers, des marchés pour l’écoulement des produits de ses fabriques. Sans même étendre ses conquêtes, une nation s’accroît en élevant d’un degré les races étrangères sur l’échelle de la vie sociale.


III

Une autre partie du monde vers laquelle s’est dirigée depuis longtemps la sollicitude des Anglais est l’Afrique. Je me trouvais, il y a quelques années, à Cromer, petite ville du comté de Norfolk envahie de jour en jour par la mer. De nombreuses affiches annonçaient un missionary meeting auquel je me fis une fête d’assister. On se réunit dans une petite chapelle où s’élevait une plate-forme en planches sur laquelle parut une Anglaise aux traits accentués tenant par la main une jeune négresse de sept à huit ans dont l’œil effarouché ressemblait à celui d’une gazelle surprise dans le désert. C’est cette femme qui était le missionnaire, et voici à peu près le discours qu’elle adressa d’un air inspiré à son auditoire : « Lorsque j’étais jeune fille, ma tête était pleine de rêves de voyages ; il me semblait être appelée à éclairer les femmes de la race noire et leurs enfans. Mon esprit ne pouvait trouver de repos, et cette idée fixe me rendit impropre à toute autre profession. Je priais Dieu nuit et jour de me fournir les moyens de réaliser le roman de ma vie. Quelques missionnaires avec lesquels je fis connaissance me promirent de m’envoyer dans leurs colonies quand il y aurait une place vacante. J’attendais avec impatience lorsqu’une parente éloignée vint à mourir et me laissa une somme de 500 livres sterling. C’était bien assez pour le voyage et pour l’exécution de mes projets. Je m’embarquai dans un vaisseau qui faisait voile pour la côte ouest de l’Afrique. On était alors au mois d’août, et tout dans la nature semblait sourire à mon entreprise. Assise au milieu du pont sur un rouleau de cordes, je regardais les vagues en songeant que je m’étais lancée seule sur l’océan de la vie, tout à fait seule ; mais j’avais confiance dans mes forces et dans la protection du ciel. Il y avait à bord un ministre, M. C., avec sa famille, qui émigrait vers les mêmes côtes et qui me prit sous sa défense. Après un long et pénible voyage, nous arrivâmes enfin à Sierra-Leone, où il me