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commencée. Grâce à cette circonstance, l’église d’Angleterre a gagné dernièrement trois îles nouvelles dans des latitudes presque ignorées des navigateurs. Ce que j’admire ici dans le protestantisme, c’est qu’étant fondé sur un livre, il a dû tout d’abord pourvoir à l’instruction des sauvages. A l’époque où les premiers missionnaires abordèrent dans les archipels de la mer du sud, ils y trouvèrent une langue inculte comme les montagnes de ces îles vierges. Les habitans ignoraient même l’usage des caractères de l’alphabet. Le peu de littérature qu’ils possèdent aujourd’hui leur vient des étrangers, qui leur ont restitué leur langage, leurs traditions, leurs idées sous une forme écrite. La Bible fut successivement traduite et imprimée en quatorze dialectes ; mais pour la rendre accessible à tous, on s’occupa de former des maîtres d’école parmi les indigènes. Ces instituteurs sont choisis dans toutes les classes de la population ; c’est ainsi que le roi des îles des Amis, Friendly islands, remplit à la fois les fonctions de prédicateur et de maître des études. Il existe en outre tout un système d’écoles normales à l’aide duquel les missionnaires développent en quelque sorte l’enseignement mutuel de la nation[1]. Ce que je crains est qu’on n’ait en grande partie sacrifié à l’élément religieux les instincts naïfs de la famille noire ou malaise. Dans les professions de foi des indigènes convertis au christianisme, on sent trop la greffe des idées européennes. Imposer à une race juvénile des formes étrangères n’est point le moyen de raviver son énergie, c’est au contraire la condamner à une vieille enfance[2].

Un des services les plus réels qu’aient rendus les missionnaires anglais aux sauvages de la Polynésie a été l’introduction de certains animaux domestiques. Les îles des mers du sud abondent en beautés naturelles ; on les a comparées à des jardins de verdure enfermés par l’océan. Les unes, d’origine volcanique, dressent fièrement vers le ciel des groupes de montagnes à pic, tandis que d’autres, formées par des bancs de coraux et de madrépores, ne

  1. La société des missionnaires de Londres soutient à elle seule dans les mers du sud 372 établissemens d’éducation recevant 21,103 élèves. Dans les commencemens, un message écrit causait la plus grande surprise parmi les insulaires. « Comment cela peut-il parler ? se demandaient-ils ; cela n’a pas de bouche ! » Aujourd’hui plusieurs maîtres d’école indigènes expriment couramment leurs idées dans des lettres adressées aux missionnaires. Des livres ont été imprimés dans ces îles, et la composition, le tirage, aussi bien que la reliure, ont été exécutés par la main des indigènes.
  2. Les missionnaires nous assurent qu’ils ont tout fait pour conserver les traditions nationales, les légendes et la poésie. Je voudrais de tout mon cœur qu’il en fût ainsi ; n’ont-ils pas pourtant supprimé des îles de l’Océanie les danses et les jeux dans la crainte que sous ces anciens usages ne se cachassent des restes d’idolâtrie ? Qu’ils prennent garde d’attrister la vie de ces peuples et d’éteindre les germes de leur individualité !