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rayonnement dont sont entourés dans l’histoire les congrès qui ont mis fin à de grandes luttes de gouvernemens et de peuples. De tels congrès ont des airs de fêtes ; les travaux des diplomates y sont mêlés à de riantes frivolités. En négociant, on parade et on s’amuse. — Tout est grave, tout est émouvant au contraire dans une délibération comme celle d’aujourd’hui, convoquée expressément pour détourner de l’Europe la calamité d’une vaste guerre. Il n’y a point de place ici pour les insouciantes légèretés de salon ; ce n’est plus le bal et la comédie, c’est le drame le plus poignant. Vous n’avez plus là des hommes d’état tout heureux d’avoir échappé aux périls passés et méditant des arrangemens commodes pour l’avenir. Non ; la perspective que vont avoir sous les yeux les ministres des affaires étrangères réunis dans la conférence de Paris est celle d’une affreuse guerre dont tous les maux peuvent se réaliser par leur faute, ou qu’il dépend de leur habileté et de leur bon vouloir de prévenir. C’est le to be or not to be de leurs gouvernemens et de leurs peuples qu’ils vont prononcer ; c’est leur propre procès qu’ils vont instruire : ce ne sont point des arrêts qu’ils ont à rendre ; c’est eux qu’on va juger.

Les fatalistes de l’heure présente cherchent à décourager ceux qui luttent pour la paix, en leur rappelant que les plus belles et les plus humaines considérations présentées par la religion ou la philosophie n’ont jamais empêché aucune guerre. Ils oublient que les guerres antérieures, si l’on excepte les guerres de principes et de passions, les guerres civiles par exemple, sont nées presque toutes en des temps où les intérêts et la volonté des peuples n’étaient comptés pour rien, où le caprice des hommes d’état ou des souverains faisait éclater les luttes d’une façon arbitraire et fortuite. Quel moyen d’arrêter par des raisons générales d’humanité, de justice et de bon sens un Louis XIV fondant sur le Palatinat, un Frédéric II se jetant sur la Silésie, un Napoléon lançant l’expédition de Russie ? Il n’en est pas de même quand la délibération de tous les intéressés précédant la lutte peut la prévenir. Les hommes d’état qui vont se réunir à Paris ont le temps de se représenter les horreurs de la guerre qu’il dépend d’eux de laisser se déchaîner sur l’Europe. Ils peuvent contempler froidement les conséquences des ruines que la guerre doit accomplir dans l’ordre des intérêts économiques, supputer les misères qu’elle imposerait à la masse des travailleurs, évoquer l’image des atroces souffrances, des sauvages supplices qu’une seule journée de bataille infligerait à des milliers de malheureux innocens. Ils seront là non-seulement comme une assemblée de politiques responsables, mais comme une consultation de savans tenus, sous peine de déshonneur, de calculer avec une rigueur positive les effets épouvantables que produiraient, laissées à elles-mêmes, des causes dont il est en leur pouvoir d’étouffer l’action. C’est une situation toute nouvelle et sans exemple que celle de la conférence. Ce n’est point là une affaire de dilettantisme, d’attitude et de simagrée. Si l’on mesure l’efficacité que