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plusieurs années représente la France à Berlin doit être parfaitement au courant des questions pendantes, et serait pour M. Drouyn de Lhuys un collaborateur fort utile.

Il faut se défier des illusions optimistes ; il serait pourtant puéril de fermer systématiquement les yeux sur l’importance considérable qu’a au point de vue des intérêts de la paix la réunion de la conférence de Paris. Rappelez-vous d’où nous venons ; Il y a un mois et demi, un mois, trois semaines, on allait à la guerre sans réflexion, sans explications, emporté par la force brutale des faits. Il semblait que l’Europe eût été condamnée à se déchirer par l’arrêt absolu et sans appel d’un tribunal invisible. On se sentait comme enveloppé et soulevé par la vertu d’un pacte terrible arrêté entre des puissances occultes. Les cabinets, aussi engourdis que les peuples, se laissaient aller à la dérive au courant de la fatalité. On n’avait pour lumière que le sec dialogue de M. de Bismark et de M. de Mensdorf-Pouilly sur une question d’armemens : la paix du monde était à la merci du choc de deux patrouilles dans des sentiers de frontières. A Londres comme à Paris, le mot « nous n’y pouvons rien » couvrait mal le sous-entendu : résignons-nous à laisser faire. Nous étions à la veille d’assister à la plus déshonorante et funeste abdication de la raison, du libre arbitre, de la bonne volonté et de la responsabilité en matière politique, qui se pût voir dans une civilisation aussi avancée que la nôtre. Voilà d’où nous venons, et l’on serait bien aveugle, si l’on ne tenait point compte du changement qui s’est opéré. La réunion de la conférence est un effort considérable tenté pour reprendre la direction de l’Europe aux influences fatales qui s’en étaient emparées. Elle ouvre un recours à la raison, à l’humanité, aux intérêts et aux sentimens des peuples contre les fatalités de la guerre. Elle fait comparaître toutes les responsabilités, elle les met en demeure ; elle les place en face les unes des autres, elle les somme de s’expliquer. Devant ce tribunal, l’opinion publique reprend ses droits, et si des desseins, pervers, des incapacités incurables, des obstinations funestes rendent la guerre inévitable, on ne se trompera point sur les noms de ceux qui auront mérité l’exécration des contemporains et les mépris de l’histoire.

On n’a peut-être jamais réfléchi à la différence qui distingue d’un congrès après la guerre une délibération européenne avant la guerre telle que celle qui se prépare. Les responsabilités des négociateurs sont petites dans les congrès qui succèdent aux grandes guerres ; leur besogne a pour ainsi dire été faite d’avance par les événemens ; il y a eu des victoires et des revers signalés ou des avantages et des échecs balancés ; la prépondérance des forces a été constatée et reconnue ; on est las et résigné de tous côtés ; il ne s’agit plus que de donner un caractère légal et une certaine permanence à un ensemble de faits déjà accomplis ; puis on clôt dans ces négociations le cycle des misères guerrières, et l’on inaugure l’ère pacifique avec son bienfaisant repos ou ses brillantes espérances. C’est ce qui explique le