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Depuis que M. Cousin a écrit ces lignes, le monde a marché plus dans ce sens que dans la direction opposée.

Il y a plus d’une raison à faire valoir en faveur d’une organisation qui donnerait désormais un certain corps à la pensée de l’unité européenne. J’en citerai deux surtout qui me semblent d’un grand poids. La première, c’est que les obstacles qu’une organisation de ce genre aurait pu susciter et suscita effectivement aux libertés publiques, quand elle se produisit sous la forme de la sainte-alliance, sont écartés pour le présent et semblent devoir l’être à plus forte raison pour l’avenir. Les peuples maintenant sont hors de page ; ils sont majeurs et s’appartiennent. Le régime représentatif, dont les chefs et les meneurs de la sainte-alliance avaient peur et qu’ils considéraient comme un ennemi, a gagné la victoire, et les rois se sont réconciliés avec lui plus encore, j’en suis persuadé, par vertu et par sagesse que par nécessité. Des tribunes où des hommes courageux font entendre le langage de la vérité sont debout maintenant à Berlin, à Madrid, à Lisbonne, dans la capitale de l’Italie, dans celle de l’empire d’Autriche et même dans celles des différens royaumes ou principautés placés sous le sceptre de la maison de Habsbourg, à plus forte raison dans tous les états secondaires ou petits de la confédération germanique. Il semble même que le temps ne soit pas éloigné où il s’en dressera une à Saint-Pétersbourg. Le souverain éclairé qui a brisé les fers des serfs de la Russie aura quelque jour à cœur d’établir cette conformité de plus entre son vaste empire et le reste de l’Europe. Il s’y est acheminé déjà par la création des assemblées provinciales. Avec ces nouvelles conditions de l’existence politique de l’Europe, où la liberté a sa place si bien faite et où elle est dans une position inexpugnable, on ne voit guère comment la reconnaissance d’une autorité collective du genre d’un congrès pourrait ouvrir la porte à la tyrannie, ni comment l’indépendance des états pourrait courir des risques.

L’autre raison se tire de l’apparition du colosse politique qui s’est créé de l’autre côté de l’Atlantique. Les États-Unis présentent un groupe admirablement lié de souverainetés, dont la puissance extérieure est formidable déjà, et dont les accroissemens rapides doivent donner à réfléchir aux hommes d’état. Avant la fin du siècle, ce qui est beaucoup pour la durée d’un individu, mais peu dans la vie des peuples, des calculs fort plausibles et que tout le monde a pu lire, sinon faire, montrent que ce sera une agglomération de 100 millions d’hommes. Pour la formation de la richesse, pour l’activité, pour l’initiative en tout genre, la moyenne de l’Américain est supérieure à la moyenne de l’Européen. A ces divers titres, 100 millions d’Américains représenteraient un nombre beaucoup plus grand d’Européens. Les États-Unis ont été façonnés par