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soit consacrée, que le principe de l’indépendance des états ne soit pas démenti par l’organisation des rapports internationaux.

L’observateur attentif qui de nos jours étudie l’Europe y constate deux nécessités qui semblent s’exclure, mais dont l’incompatibilité n’est qu’apparente : celles d’un certain degré d’unité et de l’indépendance des états.

Il est nécessaire à l’Europe que les relations des états les uns avec les autres soient soumises à certaines règles, à un certain contrôle, et qu’il y ait un droit international positif, tout comme il y a une morale chrétienne uniforme à Londres, à Paris, à Vienne, à Berlin, à Pétersbourg, à Madrid, qui offrent un admirable faisceau de nations civilisées, chacune avec son génie propre. Il est contraire aux intérêts de l’Europe, à sa dignité, à son honneur, que cette partie du monde se présente comme un pêle-mêle de peuples isolés les uns des autres, suivant chacun sa voie à son gré, sans écouter d’autres convenances que les siennes et d’autre loi que son ambition, et sans être responsable de ses actes envers personne.

Le système de l’isolement complet des états et de l’absence de tout contrôle a pour conséquence directe le règne de la force. Ce serait l’écrasement des petits par les gros au mépris des droits les plus sacrés, c’est la démoralisation du droit international. L’Europe alors, cette Europe qui est fière de l’avancement de ses idées et amoureuse du progrès, en reviendrait à une organisation semblable à celle du moyen âge, où les seigneurs indépendans les uns des autres se querellaient sans cesse, opprimaient et désolaient les populations, et, se livrant sans vergogne à l’esprit de conquête, dérobaient tant qu’ils le pouvaient les territoires de leurs voisins, jusqu’à ce qu’ils trouvassent un antagoniste plus fort ou plus rusé qu’eux qui les dépouillât à son tour.

Mais le besoin d’une organisation tutélaire qui fasse respecter les règles d’un droit public adopté d’un commun accord n’est pas le seul qu’éprouve l’Europe, et en faveur duquel il y ait lieu de réclamer. La civilisation ressent un autre besoin égal et parallèle à celui-ci et qui semble en être le contraire, c’est celui de l’indépendance des états et du respect de leur souveraineté. Et ce besoin-là se recommande de l’apostille d’une haute et puissante personne, la liberté. L’unité peut être excellente quand le territoire auquel on l’applique ne dépasse pas certaines limites. Elle est mauvaise quand on veut trop l’étendre. Entre les différentes parties de l’Europe, les liens peuvent être plus resserrés qu’ils ne l’ont été jusqu’à ce jour ; mais ils doivent ménager et respecter l’indépendance individuelle des états.

C’est, dirait-on, un problème insoluble que de faire concorder