Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/780

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après quelque temps d’autres puissances n’interviendraient point dans la guerre, quelles pourraient être ces puissances et quelle direction leur immixtion pourrait donner au cours des événemens. Aujourd’hui la situation est trop obscure, elle change trop au gré des incidens pour qu’il soit possible de se hasarder à des prévisions touchant à un tel sujet. Les perspectives de l’horizon sont comme les effets du kaléidoscope. Chaque jour pour ainsi dire en montre quelqu’une qui n’est pas celle de la veille. La question romaine ne serait-elle pas soulevée, et la question d’Orient ne reparaîtrait-elle pas, si l’Allemagne et l’Italie étaient en feu ? Quelle serait alors l’attitude de la Russie, qui est fort peu satisfaite des clauses du traité de Paris de 1856, en vertu desquelles elle est, comme puissance militaire, exilée de la Mer-Noire, et qui a un penchant bien naturel à profiter de toute occasion pour s’affranchir de cette interdiction ? L’Angleterre, qui, sous lord Palmerston, avait érigé en principe, presque en article de foi, depuis 1840, que le maintien intégral de l’empire ottoman était une des conditions nécessaires de l’ordre européen, resterait-elle alors fidèle au système d’abstention totale que depuis un petit nombre d’années elle s’est mise à professer, et dont le roi de Danemark a subi les conséquences ? Et la France, qui a protégé l’Italie, lui a assuré l’indépendance à Solferino et lui a fourni l’occasion de se constituer sur la base de l’unité, que ferait-elle, si les Autrichiens, dans le cas même où ils n’auraient pas été les agresseurs, après avoir battu les Italiens qui auraient commencé la guerre et passé le Mincio à leur suite, reprenaient à l’Italie la Lombardie, présent de la France, et franchissaient les Apennins pour menacer Florence ? La guerre, une fois commencée, pourrait donc amener des complications nouvelles et très inquiétantes, bien d’autres même que celles que nous venons d’indiquer, car par exemple la question des principautés danubiennes est aujourd’hui pendante, et il ne faudrait pas la travailler beaucoup pour en faire sortir des difficultés, des causes de conflit. On ne sait pas où la guerre, si elle se déchaînait, pourrait mener l’Europe. C’est une raison puissante pour qu’on la redoute et qu’on s’efforce de l’écarter, s’il en est temps encore.

Mais la guerre serait-elle évitée lors même qu’on parviendrait à retenir cette fois l’élan des armées de l’Italie, de l’Autriche, de la Prusse ? Il est permis de croire que ce ne serait qu’un ajournement, si l’on n’allait pas au-delà dans les voies de la conciliation et de l’affermissement de l’assiette de l’Europe. L’ordre européen, n’ayant plus aucun fondement solide, est à chaque instant à la merci d’un incident, d’un coup de main d’une puissance, des intrigues d’une autre. Les grands états ont lieu d’être constamment sur le