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bornées. Aussi les états dont les finances sont lancées sur la mer agitée du papier-monnaie n’empruntent-ils guère que par l’émission même de ce papier. Avec le papier-monnaie, dont le signe caractéristique est le cours forcé, un état emprunte à ses nationaux, quoi qu’ils en aient. C’est en apparence d’une commodité parfaite. On fait de l’argent sans rien de plus qu’une planche aux assignats ; mais cet argent si aisément fabriqué se rapproche de plus en plus de la fiction. De plus en plus on voit que c’est l’ombre substituée à la substance. L’instrument des échanges, qui est non plus un poids fixe d’or ou d’argent, mais un chiffon de papier inconvertible en métal et par cela même mobile dans sa valeur et baissant suivant des lois capricieuses, n’offre plus de sécurité au commerce et à l’industrie agricole ou manufacturière. Le producteur, n’étant plus assuré de recevoir en paiement de ses produits une valeur équivalente, est découragé et hésitant ; il restreint ses opérations. Le travail se suspend ou tout au moins languit. Une société qui travaille moins s’appauvrit, parce que c’est le travail qui est le générateur de la richesse. Les impôts rendent moins, en proportion de la diminution de la production et des affaires dont la production est la base. Les populations, dont la principale ressource est dans leur salaire, souffrent, se plaignent et s’aigrissent. Le trésor national s’emplit moins, non-seulement parce que la féconde activité du travail a reçu une forte atteinte, mais aussi parce que les impôts s’acquittent en un papier de plus en plus déprécié. Si pour remédier à la pénurie du trésor on fait varier le tarif des impôts au prorata de l’avilissement du papier-monnaie, on n’évite un écueil que pour se heurter sur un autre. Ces changemens, qui ne peuvent jamais se faire que par approximation, alarment les producteurs, bouleversent les contrats, troublent toutes les existences, puisqu’ils réagissent sur les engagemens antérieurs, et, par les pertes qu’ils déterminent, déconcertent les peuples et ajoutent à leur mécontentement. C’est bientôt un désarroi général.

Voilà pourtant où en sera réduit l’empire d’Autriche, s’il entreprend la guerre, ou si des ennemis audacieux l’obligent par leur agression à la soutenir ! Jusqu’où irait la dépréciation dans cet empire ? Je ne me hasarderai pas à énoncer une conjecture, mais il n’y aurait rien de surprenant à ce que, en peu de mois de guerre, le florin en papier tombât bientôt à 1 franc. Alors, pour obtenir une valeur effective de 100 millions de francs, somme si vite dévorée par une grande guerre, il faudrait ajouter à la circulation 259 millions en papier. L’état s’endettant de 259 millions pour 100 millions qu’il recevrait, quelle épreuve pour les finances ! Lorsqu’ils sont ainsi à bout de ressources régulières, les gouvernemens ont infailliblement recours aux réquisitions et aux exactions, parce que