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LA GUERRE
ET
LA CRISE EUROPEENNE

On raconte que le dernier roi des Lombards, Didier, lorsque du haut des remparts de Pavie il put contempler l’armée de Charlemagne qui s’étendait à perte de vue tout autour et dont les armures reluisant au soleil rendaient l’aspect plus formidable, s’écria dans son effroi : « Du fer, du fer, grand Dieu ! que de fer ! »

Le souverain qui aujourd’hui règne sur la Lombardie et sur le reste de l’Italie n’est point assiégé dans sa capitale, mais le pays n’en est pas moins inondé de soldats, — les siens, bouillans d’ardeur, sur la rive droite du Mincio, — ceux d’un ennemi intrépide et aguerri sur l’autre rive. Le déploiement militaire ne se borne pas à la péninsule italique, il n’est pas moindre, il est plus grand de l’autre côté des Alpes, au nord. D’immenses rassemblemens d’Autrichiens, de Prussiens et d’autres soldats allemands sont à la veille de se ruer les uns sur les autres. Des armées bien plus nombreuses que celles qui en 1813 et 1814 se disputaient l’empire du monde dans les plaines de la Saxe ou sur le sol de l’empire français sont prêtes à s’entre-tuer. Quiconque aime la paix comme un souverain bien et déteste la guerre comme la plus cruelle des extrémités a lieu, en présence du spectacle qu’offre l’Europe centrale, de répéter avec douleur les paroles de l’infortuné Didier : Ferrwn, ferrum ! eheu ferrum !

Il y a moins de deux mois, l’Europe semblait dans une paix profonde, car personne alors ne considérait comme possible de longtemps l’explosion d’une guerre générale. Il y avait bien dans les