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assemblée de ce genre, et par cette assemblée sur un pays tout entier, un petit groupe d’hommes bien unis conduits par un chef résolu. Dès lors, s’était-il demandé, pourquoi les royalistes ne formeraient-ils pas ce groupe et lui-même n’en serait-il pas le chef ? De l’idée à l’exécution il n’y eut qu’un pas. Avant la fin de la première session, il avait déjà formé un parti puissant qui marchait avec discipline sous ses ordres. Ce qui désignait M. de Villèle pour ce poste de commandement, ce n’était pas une supériorité d’éloquence. A proprement parler, M. de Villèle n’était pas orateur, car une parole aisée, lucide, mais sans grâce et sans feu, ne suffit point pour mériter ce grand nom. Le véritable don qui avait mis tout de suite M. de Villèle hors de pair, c’était ce qu’on peut appeler un instinct naturel de tactique parlementaire, genre de talent qui se reconnaît mieux qu’il ne se définit, mais qui ne manque jamais son effet sur les hommes réunis. C’est un art de grouper les esprits autour d’une même pensée, de les faire tendre à un même but, de les conduire à la discussion comme à la bataille, au scrutin comme à l’assaut ; c’est une divination qui découvre le langage public qu’il faut tenir pour flatter les mobiles secrets d’un auditoire ; c’est une réserve prudente qui permet de préparer ses traits à l’avance et un sang-froid à l’épreuve des incidens imprévus. Une grande réunion d’hommes est comme une mer orageuse : pour y conduire un esquif, il faut au pilote le coup d’œil qui prévoit la tempête et le coup de main preste et sûr qui, inclinant à temps le gouvernail, évite le choc des écueils. M. de Villèle se trouva doué de toutes ces qualités précieuses sans en avoir fait l’apprentissage, et presque sans se douter lui-même qu’il les possédât ; mais à mesure qu’il en connut mieux le prix, il sentit s’affaiblir en lui sa répugnance pour le seul régime qui lui permît de les développer. Il prit goût au gouvernement parlementaire non comme au meilleur et au plus noble des gouvernemens, mais comme à celui qui assurait à ses facultés leur légitime ascendant. Il s’y attacha comme le cavalier au cheval qu’il a su dompter, et il respecta désormais la liberté de discussion non comme le droit de tous, mais comme une force pour lui-même.

Une autre branche des institutions modernes, non moins importante, quoique beaucoup moins bienfaisante à mon gré, avait vu aussi M. de Villèle passer par la même transformation graduelle et arriver non à justifier ou même à absoudre, mais à comprendre et à goûter des innovations qu’avait détestées sa jeunesse. Je veux parler de ce système tant vanté d’administration qui a remplacé par une action unique et centrale toutes les autorités partielles entre lesquelles autrefois le sol de la France était divisé. M. de Villèle avait naturellement cent raisons pour une de maudire la