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M. de La Fayette et de M. de Serre comme Quintilien parlait d’Antoine et de Cicéron, il est permis d’apprécier à un point de vue purement littéraire ce bel élan d’improvisation, et alors il n’y a point assez d’admiration pour ce mélange vraiment incomparable de soudaineté et de précision, pour ce jet de lave enflammée qui vient se couler tout bouillant dans un moule d’une si sévère beauté.

Comme on le voit, ce n’était pas toujours du même côté que M. de Serre était interrompu, ni sur les mêmes bancs de la chambre que venaient tomber les traits tour à tour écrasans ou piquans de ses réponses. C’était la faiblesse, avons-nous dit, en même temps que la noblesse de la situation du ministère dont M. de Serre faisait partie que de prêter le flanc à une double attaque, et de paraître tour à tour trop libéral aux royalistes et trop peu révolutionnaire aux libéraux. En durant, cette situation, au lieu de s’affermir, laissa chaque jour davantage voir et sentir son côté faible. D’une part, en effet, la France, remise de la première surprise qui avait suivi ses malheurs, retournait chaque jour plus visiblement à ses instincts naturels, qui la portaient tout entière dans le sens de la révolution et de ses défenseurs ; de l’autre, le vieux roi, qui avait eu l’honneur de s’associer à la politique de conciliation, déclinait à vue d’œil, et son successeur était connu pour nourrir et favoriser des sentimens tout contraires. Chacun des deux partis, exalté ainsi dans ses espérances par des motifs différens, était de moins en moins disposé à des concessions réciproques, et les feux croisés auxquels M. de Serre se vit en butte devinrent de plus en plus nourris. Il y eut même des jours où il se trouva presque seul avec ses collègues entre deux fractions de la chambre également irritées, leur faisant tête tour à tour, comme un noble animal entre des chiens ardens à la curée. Ces attaques, qui ne lui laissaient point de relâche, lui causaient une impatience favorable peut-être au développement de ses talens oratoires (car toute éloquence se nourrit de passion), mais très nuisible à son repos d’esprit et véritablement excessive pour un homme d’état. Il ne pouvait supporter d’être accusé quotidiennement de trahison envers le double objet de son culte, la monarchie et la liberté, et de voir l’accusation également exploitée dans les deux camps par les intrigues des ambitieux, également accueillie par la crédulité niaise d’honnêtes gens. Sous l’empire de cette irritation fébrile, on voit dans la suite de ses discours sa parole s’aigrir, prendre une forme acerbe, incisive, saccadée. A côté de lui, d’excellens collègues, M. Decaze et M. Pasquier par exemple, que la même épreuve n’épargnait pas, conservaient avec le même courage une équanimité à laquelle lui ne sut jamais atteindre. Peut-être, il est vrai, ces nobles ministres, qui n’étaient pas dépourvus d’une ambition légitime, trouvaient-ils dans le plaisir