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au fond que le résultat de l’action irrésistible du temps et des mœurs, tout cela, sans distinction, était attaqué par les passions ultra-monarchiques que M. de Serre avait entrepris de convertir plus que de combattre. Il dut donc remettre toutes ces grandes idées à l’étude dans son propre esprit, puis il dut les discuter à la tribune, soit en qualité de simple député dans la chambre de 1815, où les passions réactionnaires dominaient, soit comme ministre quand le vieux roi, rompant avec d’imprudens amis, eut pris le parti de remettre le pouvoir entre des mains modérées. On le vit ainsi apporter successivement à toutes les institutions sociales issues de la révolution française une adhésion tantôt entière et ardente, tantôt réservée et résignée, mais à laquelle il sut toujours donner une forme et surtout un accent original. C’était quelque chose de nouveau et de saisissant que de voir les principales conquêtes de la révolution prises en main par un champion qui ne trahissait ni dans son geste, ni dans son langage la moindre attache révolutionnaire. Rien chez M. de Serre qui respirât ni le plaisir de secouer un joug longtemps supporté, ni la haine de la grandeur d’autrui, ni l’âpre poursuite de droits et de jouissances personnels, rien en un mot de ce mélange de sentimens, les uns licites, les autres coupables, mais égoïstes, qui avait corrompu les plus pures aspirations des démocrates de 1789. Tout au contraire chez ce tardif prosélyte des idées modernes portait la trace d’une conviction formée par le travail de la raison sur elle-même, et qui, en venant au jour par un enfantement laborieux, avait déchiré plus d’une fibre du cœur. On sentait que, pour se rallier si franchement à l’état nouveau de la société, il lui avait fallu faire violence à plus d’un instinct de nature ou d’éducation, et que plus d’un regret se mêlait à ses nouvelles espérances. L’ébranlement laissé par cette lutte intérieure donnait au timbre de sa voix une vibration émue qui contrastait avec le ton ordinairement âpre ou sec des débats politiques. C’était la voix de la conscience elle-même qui faisait entendre une note claire, pure, parfois sensible et mélancolique, à travers le concert discordant et les cris des factions.

Ce n’était pourtant pas une note voilée, et aucune sourdine n’y était mise. Au contraire sur plus d’un point les conclusions libérales auxquelles M. de Serre arriva par un progrès d’idées qu’on suit à la trace dans ses discours nous étonnent par leur hardiesse. Qu’on lise seulement la grande discussion sur la loi de la presse, qui remplit à elle seule la moitié du premier volume de la collection. Cette loi fut présentée par M. de Serre en qualité de garde des sceaux, et ce fut lui aussi qui pendant trois semaines d’un débat orageux, montant à la tribune comme à la brèche, en défendit tous les articles, J’ose affirmer que le libéral le plus déterminé de nos jours