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brûlant de ces nobles ardeurs et vulnérable à tant de points sensibles, joignez une rare éloquence ; mais que ce ne soit pas une éloquence calme et planant sur les nuages, comme celle du maître de son école ; que ce ne soit pas davantage une faconde habile à éluder les difficultés, à émousser les aspérités d’un débat : que ce soit au contraire une parole hardie, agressive, aimant à aborder de front les grands sujets, à courir sur tous les sommets ardus de la pensée, de plus une parole soudaine, prompte à la réplique, bondissant sous l’attaque et jaillissant en plein débat par les saillies d’une improvisation spontanée. Lancez maintenant ce lutteur brandissant son arme puissante dans une mêlée parlementaire où il ne se trouvera d’accord avec aucun des combattans ; obligez-le de défendre chaque jour, pied à pied, à droite, à gauche, en avant, en arrière, contre des exagérations de tout genre, les faces multiples de sa pensée et l’objet multiple de son amour, et vous pouvez aisément deviner ce qu’il va susciter autour de lui d’orages, porter de coups, recevoir de blessures, subir d’entraînemens et éprouver d’angoisses. Vous avez maintenant toute l’histoire des vicissitudes de la destinée de M. de Serre en même temps que le secret de l’agitation douloureuse dont sa noble physionomie n’a jamais cessé de porter l’empreinte.

Nous comprenons d’abord comment la vie publique de M. de Serre put se partager en deux phases bien tranchées, presque opposées l’une à l’autre, sans que pourtant l’unité de son caractère en soit altérée : c’est que ces deux phases correspondent à la double série d’idées qu’il a entrepris de fondre en une seule. Dans la première, il essaie de faire accepter aux royalistes la part, la dose, si on ose ainsi parler, des principes de la révolution française qu’il croit compatible avec la monarchie. Dans la seconde, ce sont d’autres disciples qu’il veut instruire, ou c’est à d’autres adversaires qu’il fait face. C’est la monarchie qu’il défend contre la révolution renaissante, qui menace, à ses yeux, d’emporter le trône dans le développement illicite ou la conséquence exagérée de ses principes.

Des deux la première fut la plus brillante, la plus originale, celle qui mérite de laisser dans la mémoire de la postérité le plus vivant souvenir. C’est à celle-là que se rapportent dans la collection qui est sous nos yeux les discours que le lecteur d’aujourd’hui lira avec le plus d’intérêt et étudiera avec le plus de fruit. Plus d’un semble encore fait pour nous instruire, car l’éternelle question qui y est agitée est celle qui nous trouble encore, la portée précise des principes de 1789 et l’application légitime de ces principes au sein d’une société régulière. Égalité civile, avancement démocratique dans toutes les carrières, intervention du pays dans son propre gouvernement, liberté religieuse, sécularisation des pouvoirs publics, tout ce qu’on est convenu d’appeler les principes de 1789, et ce qui n’est