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la scène prise sur nature, sans superfétations inutiles ; dans des cages, on aperçoit des lions, sur la poutre un singe grimaçant, sur des cercles mobiles des aras, par terre un énorme et gauche pélican qui ouvre son bec immense et voudrait bien engloutir le gâteau qu’un enfant mange près de lui. Un vieillard lit avec attention le prospectus descriptif des bêtes curieuses qu’on lui explique ; un Juif sordide regarde avec étonnement, et un gamin semble stupéfait de la dimension du reptile. Le dessin très soigné et la coloration sagement vigoureuse de cette toile la rendent remarquable ; si, comme je le crois, elle est un début, elle est pleine de promesses qui, j’espère, se réaliseront dans l’avenir.

J’ai peu parlé des paysages proprement dits, ils m’ont paru assez faibles et ne mériter aucune observation particulière. Pour beaucoup, le procédé a vraiment trop d’importance et semble affecter des effets d’ombres chinoises : des arbres noirs qui se détachent sur le soleil couchant, expédient commode qui supprime le modelé et cause toujours une certaine surprise dont il est difficile d’être dupe bien longtemps ! À ces essais tapageurs et infructueux je préfère deux très simples marines de M. Masure. On pourrait demander au peintre moins d’abandon dans la touche, plus de soin dans sa manière de traiter les terrains, plus de fini en un mot et moins d’à peu près ; mais depuis longues années je n’avais vu la mer rendue avec cette fidélité, cette transparence, ce souci de la couleur et du mouvement. Fréjus et les Environs d’Antibes, tels sont les titres de ces deux bons tableaux, qui m’ont paru valoir une mention spéciale, car ils produisent une impression très vraie, très profonde, et qui longtemps reste dans le souvenir. Rien n’y est outré, la mer sous un beau ciel bleu se ride à peine et vient mourir par vagues imperceptibles sur le rivage blond, après avoir passé par toutes ces étranges nuances céruléennes qui partent de l’indigo foncé pour aboutir au vert cristal. C’est d’une extrême douceur et d’une sérénité peu commune. Je puis encore indiquer deux agréables paysages de M. Corot avec ces ciels nacrés dont il a seul le secret, deux charmantes toiles décoratives de M. Edmond Hédouin, la Chasse et la Pêche, qui doivent faire très bien au milieu des rinceaux d’or d’un salon vivement éclairé, un Troupeau de moutons très habilement groupé par M. Schenck, qui a fait de notables progrès depuis quelques années, et j’aurai désigné, sauf erreur, toutes les œuvres d’art qui sont dignes d’être distinguées au Salon de 1866.

Ainsi qu’on a pu le voir nulle statue, nul tableau ne nous a été montré qui dépasse la moyenne d’un talent honorable. Si de grands