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C’est un des nombreux mystères du réalisme, et il m’échappe, car j’avoue humblement que je ne suis pas initié. En revanche le perroquet est réussi de tout point, dans ses nuances et dans son mouvement. A voir la coloration terne de ce tableau, je crains qu’il n’ait été peint sur une toile noire, ce qui en rendrait la destruction inévitable avant peu d’années ; il suffit pour s’en convaincre d’aller voir au musée du Louvre ce que sont devenues les compositions de Valentin. En somme, M. Courbet n’est qu’un peintre de paysage ; de tous les tableaux qu’il a exposés depuis qu’il a découvert le dogme fondamental du réalisme, je n’en ai vu que deux qui soient réellement remarquables : la Remise aux chevreuils de cette année et le Cerf à l’eau de 1861. Dans cette voie qu’un peu de culture intellectuelle améliorerait certainement, M. Courbet peut rencontrer des succès légitimes et durables. En s’essayant encore dans la grande peinture, j’ai bien peur que le maître peintre d’Ornans ne compromette singulièrement ses qualités et sa réputation.

Il est difficile maintenant de séparer le genre du paysage, ils se sont tellement mêlés tous les deux, les peintres ont tellement pris l’excellente habitude de mettre l’homme et la nature en présence, que nous renoncerons aux anciennes classifications, qui n’ont plus leur raison d’être. L’homme et la nature se complètent l’un l’autre ; tout est donc pour le mieux. Nous pouvons tuer le veau gras, l’enfant prodigue est revenu, et c’est avec une joie sincère que nous saluons son retour, car son départ nous avait profondément affligé. La tribu nomade en marche vers les pâturages du Tell est un des meilleurs tableaux que M Fromentin ait encore offerts au public. J’y retrouve ce charme, cette élégance, cette finesse, cette science approfondie des aimables colorations, toutes ces agréables qualités, en un mot, que si souvent déjà nous avons pris plaisir à louer. M. Fromentin a bien fait de revenir au genre qui lui a valu ses premiers, ses meilleurs succès, et dans lequel il est passé maître. C’est là, s’il veut en croire nos conseils désintéressés, qu’il se fixera désormais, et il ne recommencera plus ces excursions inutiles, sinon dangereuses, dans des pays qui ne sont pas faits pour lui. Ce que j’aime dans le tableau que je vois aujourd’hui, c’est que M. Fromentin y est tout entier avec ses qualités et aussi, je dois le dire, avec quelques imperfections qui lui restent encore et que je signalerai. Une tribu est en marche et traverse un gué ; au loin sur une colline, on devine plutôt qu’on n’aperçoit les longs troupeaux qui ont passé les premiers et qui soulèvent sous leurs pas un nuage de poussière. Un groupe de cavaliers, cheiks et khalifats, surveillent les hommes et les femmes, qui, chargés d’enfans, d’ustensiles de cuisine, entrent dans l’eau pour gagner la rive rapprochée. Ce groupe de