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excentricités qui ont ravi tout ce qui ne savait ni inventer, ni composer, ni dessiner, qui ont indigné quelques « amans des arts, » et qui, en somme, ont fait rire tout le monde. La camaraderie s’en est mêlée ; le peintre d’Ornans est, devenu un maître pour quelques adeptes, et on en a fait un chef d’école, le grand directeur patenté du réalisme. Ceci est un enfantillage peu dangereux sur lequel il n’y a pas à s’appesantir. Il fut à l’art ce que le Ma pa avait été à la religion. Aujourd’hui M. Courbet paraît revenir à des sentimens plus sérieux et chercher le succès dans des œuvres de bon aloi ; il faut lui en tenir compte et applaudir à son effort. Sa Remise aux chevreuils est une toile remarquable, à laquelle il ne manque qu’une meilleure entente de la perspective aérienne pour être un excellent tableau. Il n’y a pas de composition, je n’ai pas besoin de le dire. Quelques hêtres, un ruisseau courant au pied d’un rocher grisâtre, quatre chevreuils, un fond de bois, et c’est là tout. C’est gras, puissant, très solide ; et d’une impression vraie. Les eaux sont transparentes, les rochers rendus dans tout leur détail ; les animaux ont été étudiés avec soin, surtout le broquart debout et dont on voit le tablier. En résumé, c’est là un paysage très bon ; il prouve que la main de M. Courbet est fort habile, qu’elle n’ignore aucune des ressources du métier, et qu’elle pourrait produire des œuvres importantes, si elle obéissait au cerveau, au lieu de le diriger.

M. Courbet expose aussi un autre tableau qui a quelques prétentions à être de la grande peinture. C’est une femme nue, couchée et qui joue avec un perroquet. Le titre en est singulier, pour ne rien dire de plus : la Femme au perroquet, pour faire pendant sans doute à la Vierge à la chaise ! Donner à son œuvre un tel baptême, que la postérité accorde seule, croire qu’on a fait la femme au perroquet par excellence, c’est une étrange aberration et qui explique peut-être tous les côtés maladifs du talent de M. Courbet. — En 1844, M. Paul Delaroche, étant à Rome, exposa dans son atelier un repos en Égypte ; la Vierge était assise près d’un rocher sur lequel un lézard grimpait ; un des assistans, voulant faire sa cour à l’artiste, lui dit : « Vous devriez intituler votre tableau la Vierge au lézard. » M. Delaroche sourit avec tristesse et répondit : « On verra cela dans une centaine d’années. » M. Courbet a été moins modeste que M. Delaroche, cela se comprend. Elle est assez médiocre au reste, la femme au perroquet. Étendue, la tête renversée, toute nue, près d’un jupon à crinoline qui fait là un équivoque et déplorable effet, les jambes de ci et de là, laissant flotter une énorme chevelure qui ressemble à des copeaux de palissandre, elle joue avec un perroquet qu’elle tient sur sa main. M. Courbet a donné à toute cette figure des ombres couleur chocolat ; pourquoi ?